Témoignage d’un facteur

Cela fait plusieurs années que je travaille comme facteur et j’ai vu comment les conditions de travail se sont énormément aggravées, en particulier depuis 2015.

Par exemple, il y avait avant une équipe de nuit qui préparait la répartition du courrier, mais cette équipe n’existe presque plus aujourd’hui, et ce sont les facteurs qui font eux-mêmes la répartition, tout en étant payé autant qu’avant.

Le plus dur a été pour l’équipe de nuit. Là-dedans, il y avait des gens qui avaient choisi de travailler la nuit, qui avaient organisé leur vie autour de ça.

Ils profitaient aussi d’un salaire un peu plus élevé, bien normal pour un travail de nuit.

Mais pour s’en débarrasser la direction n’a pas hésité à pousser les gens dehors pendant plusieurs années, en leur donnant les tâches les plus dures, ou même en envoyant certains en Flandre alors qu’ils ne parlaient pas néerlandais.

De manière générale, il y a régulièrement des réorganisations des tournées. Les patrons font semblant que c’est pour être plus efficace, mais on voit bien que c’est pour nous faire travailler plus.

En moyenne, les tournées ont augmenté de 25 à 30% et même 50% pour certaines, alors qu’on n’est pas payé pour nos heures supplémentaires. Ça fait qu’on est nombreux à travailler gratuitement presque tous les jours.

Ils disent chaque fois qu’on peut faire plus vite, en mettant moins de temps pour chaque colis ou lettre. Mais dans leurs calculs, ils sous-estiment systématiquement les nombreux imprévus qui tombent tous les jours : la circulation, les problèmes de réseau avec les scanners, etc.

Pour mieux tenter de nous diviser, les chefs font en sorte de faire des tournées plus faciles que d’autres. Il y a une liste, selon l’ancienneté et d’autres critères, et les premiers de la liste peuvent choisir en premier leur tournée. Ils donnent quelques avantages à certains pour faire en sorte qu’on ne soit pas unis lorsqu’on veut lutter.

Le pire, c’est pour les intérimaires. Ils ne sont même pas sur la liste et donc ils se retrouvent avec les tournées dont personne ne veut. Ils ont parfois 3, 4 heures supplémentaires non payées, et ont les mêmes problèmes que nous tous.

Avec des conditions pareilles, autant dire que la plupart des intérimaires ne restent pas longtemps.

Chaque semaine on voit plein de nouvelles têtes. Plutôt que d’installer des caméras partout pour nous surveiller, c’est surtout des augmentations de salaire, des contrats stables, et des horaires décents qu’il faudrait pour que le personnel reste.

On a beaucoup de problèmes avec le matériel. Par exemple, il y a des vélos électriques avec des remorques pour aller dans certains quartiers où c’est plus difficile en camionnette. Mais il arrive très régulièrement que la batterie du vélo ou de la remorque lâche, et que le facteur se retrouve à devoir rentrer sans l’assistance électrique, avec plusieurs dizaines de kilos de courrier à porter. Et quand il pleut ou qu’il fait froid, ça augmente énormément le nombre de problèmes. Mais on est en Belgique, les patrons ont dû se dire qu’il ne pleuvait pas souvent…

Il y a régulièrement des problèmes de réseau avec l’appareil de scan des colis. Ils ont remplacé la personne qui distribuait notre matériel par des armoires électriques. Mais c’est déjà arrivé que ces armoires tombent en panne et on se retrouve à prendre du retard avant de pouvoir partir en livraison, ce qui allonge encore notre journée.

Plus récemment, ils ont acheté toute une flotte de camionnettes électriques. Ils se plaignent tout le temps qu’on ne rapporte pas assez, mais pour ça il y a de l’argent. Ils prétendent qu’ils font ça pour l’écologie… Ce qui les intéresse c’est surtout de prendre l’argent public qui va avec, et de passer des gros contrats avec les patrons de l’automobile pour les faire profiter aussi de l’argent public. Et le pire, c’est qu’il y a déjà plein de problèmes avec ces voitures électriques, surtout avec le froid en ce moment.

Et toute cette dégradation vient alors que la poste est censée être un service public. Il y a 30 ans, les postiers étaient tous des fonctionnaires, aujourd’hui la Poste peut faire appel à des intérimaires ! Évidemment, quand ce sont des intérimaires qui font le travail et qui ont plusieurs heures supplémentaires non payées, ils vont plus souvent se tromper d’adresse, ou rater une rue car ils n’ont pas le temps et ne connaissent pas le trajet.

En plus, avec le manque d’effectif permanent, on doit souvent remplacer l’un ou l’autre au pied levé, sans avoir le temps de se former, ça crée une ambiance de chaos permanent qui met tout le monde de mauvaise humeur. Et tout ça alors qu’il y aurait les moyens d’avoir des conditions de travail décentes, et un service efficace et bien fait.

C’est choquant car de l’autre côté on voit les budgets qui augmentent pour l’armement pendant qu’il y a toujours moins pour les hôpitaux et les écoles. Le capitalisme nous fait la guerre au travail, et en même temps il entretient les guerres partout dans le monde. Et bien sûr, ce sont toujours les ouvriers qui sont en première ligne, pendant que les capitalistes restent au chaud à s’enrichir. Ce qu’il faudrait, c’est retourner la guerre contre le capitalisme et le renverser !