Les quelques 22 000 Tunisiens fuyant la misère au péril de leur vie qui sont arrivés sur l’île italienne de Lampedusa, se trouvent depuis plusieurs semaines malgré eux au centre d’une surenchère démagogique abjecte des gouvernements européens.
Le gouvernement de Berlusconi, lui-même nouveau propriétaire d’une luxueuse villa sur l’île de Lampedusa, a laissé pourrir la situation sur l’île pour ensuite hausser le ton contre l’immigration, réclamant que cette question soit gérée et résolue à l’échelle de l’Union européenne.
Mais les autres gouvernements européens ont fait la sourde oreille : le ministre allemand avance que le pays a ses propres immigrés clandestins, venus de l’Est, pour lesquels l’Italie ne paye rien. La Belgique ne voyait simplement pas la nécessité…
Mais Berlusconi veut redorer son blason devant l’électorat le plus nationaliste et réactionnaire, en se montrant « déterminé » à bon marché face à quelques milliers de malheureux. Et à la mi-avril, il a donné des visas provisoires aux immigrés entre-temps enfermés dans des véritables camps. Cela revient à leur donner le droit de gagner le pays de l’Union de leur choix, forçant ainsi la main à ses collègues européens.
Cela a provoqué une surenchère abjecte parmi les dirigeants européens : Sarkozy a fait fermer la ligne de train reliant l’Italie à la France. Il est question de suspendre les accords de Schengen qui abolissaient le contrôle aux frontières intra-communautaires, un des rares aspects positifs de cette Europe.
La Belgique a renforcé les contrôles à tous ses aéroports et le secrétaire d’Etat à l’immigration, Melchior Wathelet, a « précisé » que les immigrants tunisiens en Belgique ayant un visa n’étaient pas pour autant en séjour légal, il leur faut aussi avoir de l’argent, leurs papiers d’origine, et pouvoir justifier du but de leur séjour. C’est une véritable chasse à l’homme qui a commencé avec des dizaines d’arrestations en France et deux jusqu’à présent en Belgique.
Vraiment, elle a bonne mine, l’Europe unie, l’Europe des droits de l’homme qui se déchire à qui se montrera le plus égoïste et saura le mieux renvoyer à la misère quelques milliers de malheureux !
Depuis des mois, ces mêmes gouvernements européens ont tous prétendu défendre les « progrès de la démocratie » en Tunisie, en Libye et ailleurs. Mais dès que la situation dans le monde arabe a pour eux des conséquences concrètes, on voit que leur « démocratie » a pour les pauvres le goût des camps de réfugiés, des barbelés, des matraques et des expulsions.
La « dangereuse vague d’immigration » est un mensonge grossier. Ce n’est évidemment pas la dilution de quelques 22 000 Tunisiens arrivés en Italie, fussent-ils sans papiers, parmi les 500 millions d’Européens qui inquiète les gouvernements de l’Union. Ce qui n’empêche pas les dirigeants européens d’organiser un psychodrame autour.
C’est de la poudre aux yeux pour tenter de dissimuler une réalité sociale qui se dégrade : le chômage qui s’aggrave, la baisse dramatique du pouvoir d’achat, alors que les prix commencent à s’emballer. Pour faire oublier la politique menée par ces mêmes gouvernements européens qui vise à faire payer aux classes populaires de leurs pays les milliards distribués aux actionnaires des grandes banques et entreprises. Toute sorte de choses dont ne sont en rien responsables les 20 000 Tunisiens qui errent désespérément sur les routes pour trouver du travail et un toit. Pas plus que n’en sont responsables l’ensemble des travailleurs immigrés. Eux travaillent, produisent des richesses, pendant que les possesseurs de capitaux continuent à exploiter en toute liberté, à bloquer les salaires alors que leurs profits s’envolent, pour placer et déplacer leurs capitaux là où ça rapporte le plus, quitte à fermer des usines et à fabriquer de nouveaux chômeurs.
Alors ne nous y trompons pas : les victimes de cette agitation démagogique contre les immigrés ne seront pas seulement les candidats à l’émigration en Tunisie. C’est nous tous qui sommes visés : travailleurs de toutes origines, avec ou sans papiers, car c’est une démagogie de plus par laquelle on essaie de nous diviser entre travailleurs, de nous dresser les uns contre les autres, de nous affaiblir pour mieux nous attaquer. Et c’est surtout par cette démagogie, transformant en boucs émissaires les travailleurs immigrés, une partie de notre propre classe, qu’on voudrait nous empêcher de comprendre que nos seuls ennemis sont ceux qui nous exploitent, les patrons capitalistes, les actionnaires et tous les parasites qui s’enrichissent, même par temps de crise, en aggravant les conditions d’existence du monde du travail, ici et là-bas.