Des intérêts opposés dans le monde agricole
Ces dernières semaines, la mobilisation des agriculteurs dans tout le pays a mis en avant leurs problèmes et leurs revendications. Mais dans « le monde agricole », il y a en vérité de fortes oppositions d’intérêts et des réalités très différentes.
La presse évoque, par exemple, que les revenus des agriculteurs sont en moyenne au plus haut depuis 2004. Mais c’est une moyenne et cela masque une grande disparité. En Flandre, par exemple, d’après l’administration flamande, le revenu par personne dans le bétail de boucherie serait de 12 200 € par an alors qu’il serait 11 fois supérieur pour la culture de légumes en serre (135 800 €).
Mais surtout, l’opposition d’intérêts se fait entre les capitalistes de l’agriculture et les travailleurs. Il n’y aucun intérêt commun entre le milliardaire Eric Wittouck qui a fait sa fortune sur l’exploitation de la raffinerie de sucre de Tirlemont et un ouvrier agricole dans la culture de la betterave qui gagne 11,74€ de l’heure.
Un monde de concurrence
Cette opposition d’intérêts est marquée aussi par la concurrence capitaliste entre exploitations agricoles. Que ce soit pour acheter ou louer des terres, vendre ses produits ou obtenir des subventions publiques, les profits des uns sont souvent les pertes des autres. Par exemple, si le prix des fourrages augmente, cela avantagera ceux qui les produisent mais cela coûtera aux éleveurs bovins. Si une exploitation vend son lait moins cher que sa voisine, elle gagnera des parts de marchés à son avantage.
Et dans cette concurrence, ce sont les plus gros qui l’emportent. De ce fait, le nombre d’agriculteurs en Belgique a largement chuté et les exploitations n’ont pas cessé de se concentrer et de grossir en taille (en rachetant les terres d’autres agriculteurs). Il y avait 113 000 exploitations en Belgique en 1980, aujourd’hui deux sur trois ont disparu et il n’en restait que 35 000 en 2022.
Les plus gros producteurs peuvent investir dans les techniques agricoles de pointe, acheter les machines les plus performantes et faire des économies d’échelle grâce à la taille de leur exploitation. De ce fait, ces exploitations agricoles pourront obtenir de meilleurs rendements que leurs concurrents, et grossir encore davantage en rachetant des terres ou en en louant de nouvelles. En Wallonie, par exemple, la majorité des fermes font aujourd’hui plus de 50 hectares et les plus petites exploitations ont largement disparu.
Capitalisme et agriculture
L’agriculture est un secteur de profit pour les capitalistes. En Belgique, leur domination sur l’agriculture se voit très bien par la politique de rachat de terres.
Des entreprises rachètent de nombreuses terres agricoles, en faisant par-là monter leur prix. De ce fait, le prix de l’hectare de terre agricole a augmenté de 6% par an ces dernières années pour atteindre en 2022 plus de 36 000 € par hectare en moyenne en Wallonie et 63 000 € en Flandre. Cela empêche les agriculteurs de devenir propriétaires de leur terre, au profit de groupes capitalistes qui achètent ces terres uniquement pour les revendre et ainsi spéculer sur la hausse de leur prix.
Colruyt achète aussi des terres et les loue à des agriculteurs à des conditions très dures. Selon la loi, les agriculteurs sont censés louer leur terre à travers un « bail à ferme » qui leur permet de bénéficier de contrats de location de terre agricole plus longs, à un loyer maximum fixé, et un peu plus protecteurs. Cela leur permet de faire des investissements et d’organiser leurs cultures sur du plus long terme.
Mais le groupe Colruyt passe par une société d’investissement pour contourner le bail à ferme. Et cette société d’investissement conclu ensuite, des « contrats de culture » d’un an seulement avec les agriculteurs. De ce fait, ces derniers sont soumis à la volonté de Colruyt qui peut leur imposer ce qu’ils doivent cultiver et comment. Les agriculteurs sont, de fait, sous les ordres de Colruyt car ils sont seuls face à un grand groupe qui possède leur terre. Mais ce sont bien les agriculteurs qui doivent supporter les risques de leur exploitation. Et d’une année à l’autre, Colruyt peut leur préférer un autre agriculteur et leur enlever la terre.
Jamais avare d’aides publiques, ce montage de Colruyt a d’ailleurs choisi de prendre le statut d’agriculteur pour bénéficier des aides européennes de la Politique Agricole Commune.
Pesticides : les agriculteurs, premières victimes
Parmi les promesses des gouvernements aux agriculteurs, il y a l’abandon du règlement européen qui prévoyait de réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici 2030. Cette revendication de poursuivre cet usage des pesticides est reprise par des milliers d’agriculteurs, alors qu’ils en sont les premières victimes. Car ce sont ces pesticides qui causent des cancers, la maladie de Parkinson, et qui détruisent la biodiversité.
Mais les agriculteurs qui vivent de leur travail subissent des pressions comparables à celles des travailleurs de l’industrie ou du bâtiment par exemple. Car comment refuser le risque d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail quand il faut bien gagner sa vie ?
La vraie question est de cesser de vendre pour un marché aveugle et de se donner les moyens de disposer des ressources de la planète en fonction des besoins de l’humanité. Cela ne peut se faire qu’en planifiant l’agriculture et l’industrie à l’échelle mondiale, sous le contrôle de la population, et en se préoccupant en premier lieu de leurs conséquences pour la santé et les milieux naturels.
Le problème de l’azote en Flandre
En Flandre, un problème similaire se pose car les émissions d’azote sont trop importantes. Celles-ci viennent des exploitations industrielles et du fumier issu de l’élevage. Cet excès d’azote acidifie les sols et favorise les herbes, ronces, chardons qui prolifèrent au détriment des autres plantes, des insectes (abeilles, papillons, etc.) et des animaux qui en vivent. L’excès d’azote entraîne aussi des problèmes pulmonaires, des maladies cardiovasculaires et pollue les eaux.
Pour réduire le taux d’azote, le gouvernement flamand a imposé des fermetures d’exploitations agricoles ainsi que des mesures coûteuses pour réduire les émissions d’azote. Cela a suscité une opposition des agriculteurs en Flandre. Car pour nombre d’entre eux, cela signifie la fin de leur exploitation ou la ruine. Seuls les plus gros exploitants peuvent se permettre de mettre en place ces mesures.
Les promesses de la grande distribution
Après la mobilisation des agriculteurs, les grandes surfaces comme Colruyt et Delhaize ont promis d‘augmenter le prix d’achat de la viande bovine au kilo de 0,50 €. Des agriculteurs se sont ensuite rendus compte qu’il s’agissait d’une augmentation du prix de la carcasse et qu’il fallait donc retrancher le coût du transport et de l’abattage. Cela revenait, selon eux, à une augmentation de seulement 0,20 € !
Mais surtout, les grandes surfaces en ont profité pour augmenter le prix en magasin de 1,50 € par kilo ! C’est-à-dire que le fardeau reposera de nouveau sur le dos des travailleurs, pensionnés, chômeurs et allocataires sociaux. Alors que le prix de la viande a déjà explosé ces dernières années et que beaucoup d’entre nous s’en privent déjà.
Dans ce monde capitaliste, toute la production – alimentaire, logement, transport, habillement – et même l’éducation, sont soumis aux lois de la concurrence et de la course au profit, entraînant désorganisation et chaos. On ne peut pas revenir en arrière, la seule solution est d’aller de l’avant en supprimant la propriété privée des banques et des grandes entreprises pour que toute la production soit organisée sous le contrôle de la population, dans l’intérêt général de tous.