Extraits d’un article du journal de nos camarades de L’Internazionale
La « Marche sur Rome », en octobre 1922, fut une mise en scène que la propagande fasciste présenta comme une rupture révolutionnaire. Mais cette « révolution fasciste » n’a existé que dans les élucubrations de Mussolini et de ses serviteurs.
Le fascisme fut avant tout facilité par la réaction des classes dominantes contre le courant révolutionnaire qui secoua le prolétariat de toute l’Europe. L’immense popularité de la révolution russe de 1917 augmentait le prestige de la fraction du mouvement socialiste qui avait défendu, comme l’avait fait Lénine, les positions internationalistes et dénoncé le caractère impérialiste de la Première Guerre mondiale. Il fallait empêcher ce courant, qui allait s’organiser en partis communistes, de gagner la majorité des travailleurs. Sur cet objectif, tous les partis de la bourgeoisie étaient d’accord.
La Marche sur Rome couronnait deux années de violences des bandes fascistes contre les organisations ouvrières. Cette contre-révolution sociale était appuyée, organisée, financée par les classes possédantes, contre un mouvement ouvrier qui se faisait de plus en plus menaçant, au point de remettre en cause les bases mêmes de l’organisation capitaliste. Ce n’est pas un hasard si la défaite du mouvement d’occupation des usines, fin 1920, marqua le début de l’escalade des agressions fascistes.
Les institutions de l’État libéral furent largement complices de ces violences. On peut en dire autant des hiérarchies catholiques. (…)
Rien que pour la seule année 1921, 726 sièges d’organisations ouvrières (mutuelles, syndicats…) furent détruits par les bandes fascistes ! Et on compta plusieurs centaines de morts parmi les militants du mouvement ouvrier.
La défaite de la grève générale d’août 1922, appelée par les syndicats pour s’opposer aux violences fascistes, confirma à Mussolini et aux siens que plus rien ne s’opposait à l’instauration d’un gouvernement fasciste, qui bénéficiait de la protection des autorités.
La Marche sur Rome fut annoncée les jours précédents. La question se posait désormais ouvertement d’en finir avec les vieux dirigeants libéraux qui ralentissaient la transformation de l’État en un instrument plus adapté aux nécessités de l’heure de la classe dominante. Le poids des industriels dans la farce révolutionnaire jouée par le parti fasciste est indiscutable. À la veille de la Marche, Mussolini rencontra à Milan le président du syndicat patronal Confindustria, Gino Olivetti, pour discuter de la physionomie du nouveau gouvernement.
Le gouvernement de Luigi Facta, qui avait déjà annoncé sa démission, proclama l’état de siège dans la capitale. Le matin du 28 octobre, la rumeur se répandit que l’armée se préparait à prendre le contrôle de Rome pour la défendre de l’attaque fasciste. Mussolini, en sécurité à Milan, à deux pas de la frontière suisse, hésitait sur la conduite à suivre, mais le roi le tira d’embarras en refusant de signer l’état de siège.
Alors que les fascistes paradaient dans la capitale, Mussolini arriva en train à Rome le 30 octobre et reçut du roi Victor-Emmanuel III la charge de former le nouveau gouvernement. L’armée, en état d’alerte les jours précédents, forte de 280 000 hommes et d’une artillerie lourde, ne tira pas un coup de feu. Voilà ce que fut la « révolution » des fascistes. Pendant ce temps, dans les autres villes italiennes, les groupes armés fascistes prenaient définitivement possession des administrations locales avec l’accord des préfets.
Le nouveau gouvernement ne fut pas exclusivement fasciste. Des dirigeants libéraux et du Parti populaire y furent appelés et les Assemblées votèrent à une très grande majorité en faveur du gouvernement Mussolini : 429 oui, 116 non et 7 abstentions à la Chambre des députés. Tous les partis de la bourgeoisie, y compris le Parti populaire catholique, durent convenir que pour défendre le système capitaliste du « péril rouge », les méthodes fascistes étaient les meilleures. Et si certains d’entre eux espéraient pouvoir se défaire de cette alliance avec le fascisme, une fois le sort des socialistes et surtout des communistes réglé, il en alla tout autrement.
Malgré la répression, quelques espaces légaux demeurèrent ouverts aux organisations ouvrières, au moins jusqu’en 1924, année de l’assassinat du député socialiste Matteotti par des fascistes. L’émotion suscitée par ce énième crime ouvrit une grave crise politique au sein même du parti fasciste. Mais pas plus qu’auparavant, les directions socialiste et syndicales ne voulurent prendre la direction d’une lutte décidée. Le respect des institutions soi-disant « démocratiques » pourtant ouvertement complices des assassins fascistes, contribuèrent largement à désorienter et désarmer la classe ouvrière. Quant au jeune Parti communiste, il n’avait ni la force ni l’influence pour changer significativement le rapport de force.
Une fois surmontée la crise Matteotti, le gouvernement accéléra son évolution vers la forme dictatoriale avec les « lois fascistissimes » prises entre 1925 et 1926. En même temps, Mussolini abandonna les slogans « révolutionnaires » et les revendications républicaines, anticléricales et « prolétariennes », avec lesquelles il avait cherché à tromper les couches populaires les premières années du mouvement fasciste. Les dirigeants de la grande bourgeoisie, qui avaient autrefois soutenu avec conviction les institutions démocratiques, siégeaient désormais au Grand conseil du fascisme, au Sénat et dans les différentes corporations et, pendant plus de vingt ans, le régime fasciste fut le plus fidèle et zélé serviteur de la grande bourgeoisie italienne.