« C’est de l’esclavage rémunéré »

Voilà comment un ancien d’un sous-traitant d’Amazon interviewé par un journaliste de l’émission diffusée sur la RTBF « #investigation » décrit ses conditions de travail. Et il n’est pas le seul à dénoncer les infernales journées contre la montre du secteur de la livraison de colis.

Arrivée au dépôt : 7h. Aujourd’hui, 250 colis à livrer. En neuf heures. Ça fait un colis toutes les deux minutes. Démarrer la camionnette, l’application, suivre le GPS. Rouler, vite. Un embouteillage : ne pas s’énerver. Rouler, rattraper le temps perdu. Arriver chez le client. Descendre de la camionnette, fermer la porte, prendre le colis, aller jusqu’à la porte, sonner. Compter 1 2 3 … 10 secondes. Le client n’est pas là. Où déposer le colis ? Chez le voisin ? Devant la porte ? Devant la porte. Pas le temps. Presse-toi, il reste encore 150 « stops ». Tous les colis doivent être livrés. Avant 20h. Sinon, rappelle-toi que les heures supplémentaires ne sont pas payées… « C’est insupportable (…) faut l’avoir vécu pour le savoir » témoigne un ancien livreur.

Pour son travail, un livreur de colis chez un sous-traitant belge d’Amazon est payé 14€ de l’heure, une misère pour détruire son corps et son esprit… Mais plus du double de ce que gagnent les livreurs roumains, lithuaniens, indiens, qui sillonnent les axes internationaux et livrent des colis partout en Union européenne pour 1.000€ par mois.

À la précarité des salaires s’ajoute celle des contrats. Le 31 juillet, les 91 chauffeurs de KM Group, un sous-traitant d’Amazon, étaient virés via un message envoyé sur Whatsapp, sans recevoir de C4 (indispensable pour s’inscrire au chômage), ni indemnités, ni même les salaires du mois de juillet, et encore moins les heures supplémentaires qui sont systématiquement non payées dans le secteur.

Ce que dénoncent les livreurs n’est pas le fait de quelques patrons voyous isolés. Il s’agit de méthodes généralisées par les donneurs d’ordres eux-mêmes. Ces donneurs d’ordres, tels que Amazon, se tiennent tout en haut d’un système pyramidal de sous-traitances en cascades. Ils sont ceux qui fixent les prix des livraisons, fournissent les applications… et signent les contrats avec les patrons des entreprises sous-traitantes, spécialement sélection- nés pour leur capacité à respecter les tarifs du donneur d’ordre, intéressés qu’ils sont par le profit qu’ils prendront au passage… à condition d’imposer suffisamment de pressions à leurs travailleurs, ou à leurs propres sous-traitants. Ainsi, si chaque livreur subit quotidiennement la hargne insupportable d’un « petit » patron voyou, ce n’est pas par hasard… c’est justement pour cette « qualité » que ce patron a été choisi par le donneur d’ordre !

Alors pour assurer leurs profits de misérables intermédiaires, ces patrons prennent exemple sur les plus gros homologues et abandonnent toute humanité. Un ancien de KM Group raconte « quoi qu’il arrive sur la route, on va te demander de tout terminer. Il y a déjà eu des cas où des chauffeurs ont fait des malaises, où des chauffeurs sont blessés, et ne savent pas terminer leur tournée. On [le patron] leur a dit « non tu te débrouilles, il faut que tu termines ». Ils considèrent que ceux qui déposent un certificat médical sont des voleurs ». Mais ces répugnantes pratiques ne s’arrêtent pas là. Un journaliste de la chaîne de télévision flamande VTM s’est récemment fait embaucher chez trois sous-traitants de l’entreprise « PostNL ». Il a pu ainsi révéler des cas d’embauches de travailleurs sans-papiers ou non déclarés encore plus précaires, l’emploi de permis de conduire falsifiés, mais également le travail d’enfants !

Les responsables et principaux bénéficiaires de l’exploitation débridée des chauffeurs, ce sont les actionnaires des entreprises donneuses d’ordre, comme Amazon, ou des grandes entreprises de livraisons, comme UPS, PostNL… La seule fortune de Jeff Bezos, le principal actionnaire d’Amazon, s’élève à plus de 200 milliards de dollars ! Sur ses comptes, il y a plus qu’assez pour payer et indemniser chaque travailleur d’Amazon, y compris les livreurs embauchés par les sous-traitants !

Mais l’organisation via les sociétés de sous-traitances sert à éloigner des entreprises donneuses d’ordre la responsabilité juridique des préjudices subis par les livreurs.

Les inspecteurs du travail s’y cassent les dents, tout comme les avocats qu’embauchent les travailleurs. Pour se défendre face à la racaille capitaliste, les travailleurs ne peuvent pas compter sur la loi : elle est écrite dans l’intérêt des capitalistes !

Face à tous les patrons, la classe capitaliste et l’État à son service, le seul moyen de se défendre pour les travailleurs, c’est la lutte des classes !