Je travaille dans une Maison de Repos et de Soins (MRS) d’un CPAS. Actuellement, la pression sur les infirmières est immense : le travail en quarts implique de réaliser beaucoup de sacrifices dans nos vies privées. En tant qu’infirmière, ce n’est pas rare de rater les anniversaires des enfants, les réveillons et les week-ends (souvent un sur deux) pour le travail. Le manque de personnel et la dureté du travail font qu’on manque cruellement de bras et que pour que les patients reçoivent leurs soins, on doit très souvent travailler les nuits et les week-ends, mais aussi prester une quantité d’heures supplémentaires inimaginable. D’année en année, le manque de personnel est de plus en plus criant.
Beaucoup de collègues quittent parce que le travail est de plus en plus dur pour un salaire et une reconnaissance bien faibles ! La dureté du travail fait qu’on est nombreuses à être cassées, physiquement et psychologiquement par le travail. J’ai de nombreuses collègues qui sont en burnout et en maladie, ce qui aggrave encore la pénurie de bras !
En particulier, le manque de personnel fait qu’après huit heures de travail, par exemple entre 12h et 20h, si votre remplaçante n’est pas là, vous devez continuer votre travail pendant la nuit, en espérant que votre collègue du matin sera là ! En effet, si on quitte son poste de travail sans être remplacé, on vous poursuit en justice pour abandon de poste, bien que travailler sur deux quarts de travail d’affilée soit aussi complètement illégal ! Après ce genre de “journée de travail”, on rentre chez soi sur les rotules…
Et ils voudraient nous faire travailler jusqu’à 67 ans dans ces conditions? C’est impossible !
Et puis ces difficultés engendrent plein de complications dans la vie quotidienne. Quand on commence à 7h, pas possible de trouver une crèche ouverte plus tôt et on ne peut que compter sur la solidarité des proches.
Pour ce travail qu’on réalise, on est bien trop peu reconnu et rémunéré ! Le salaire de départ est aux alentours de 1700€-1800€. C’est bien insuffisant aujourd’hui pour payer ses factures, son loyer et les courses. Aujourd’hui, après des dizaines d’années de travail, je ne gagne pas plus que 2400€. Cela fait d’ailleurs des années que nos barèmes n’ont pas été revus ! La dernière fois qu’ils l’avaient été, c’était en plus avec des années retard. Et évidemment, ils ne nous ont pas reversé la différence !
Vu le manque de personnel et pour remplacer les collègues en arrêt, les MRS font parfois appel à l’intérim. Mais c’est loin d’être une solution. Car ces collègues ne connaissent souvent pas bien la MRS et les patients, car ils ne sont là que pour quelques jours ou quelques semaines. Ce qu’il nous faut ce sont de vraies embauches et pas de rustine qui permettent aux agences d’intérim de s’en mettre plein les poches !
La situation est désastreuse dans les MRS !
La situation dans les maisons de repos et de soin des CPAS se dégrade. Vu le manque de moyens dans les soins en général, beaucoup de patients avec des pathologies lourdes et des problèmes psychiatriques importants sont envoyés chez nous par manque de place dans les institutions adaptées. Mais nous n’avons pas suffisamment de bras et de temps pour nous occuper correctement de chacun ! Comment faire correctement les toilettes et les pansements, plus les démarches administratives quand on est 1 infirmière pour +-120 patients? Mais surtout comment s’occuper humainement des patients quand on est si peu? Ils nous poussent à la maltraitance. C’est révoltant !
Beaucoup de tâches retombent sur les aides-soignantes qui sont elles aussi débordées. On leur demande de faire des tâches pour lesquelles elles ne sont ni formées ni payées et elles doivent combler les manques à tous les niveaux.
Et puis dans les MRS des CPAS, l’organisation du travail ne va vraiment pas. Les CPAS font, par exemple, faire le nettoyage par des travailleurs en “article 60” (un dispositif par lequel le CPAS fait mine de proposer un travail à ceux qui reçoivent une allocation). Mais ces travailleurs ont souvent des enfants, une famille dont ils doivent s’occuper et donc le nettoyage n’est pas fait.
Et le gouvernement n’arrête pas de couper dans les budgets ! La nourriture est de moindre qualité, ils nous restreignent sur tout: sur la quantité de langes, etc.. La manière dont sont traités les résidents est indigne! C’est le lot de beaucoup de travailleurs pauvres, car qui peut aujourd’hui se payer le luxe d’une MRS d’Orpea jusqu’à 6000-7000€ par mois?
Pendant le Covid, la situation a été terrible dans les maisons de repos et de soin. À cause du manque de lits, les hôpitaux nous ont clairement dit de ne pas envoyer les malades aux soins intensifs. On a laissé mourir des résidents, sans leur apporter les soins qui auraient pu les sauver parce que le gouvernement n’a pas cessé de fermer des lits dans les hôpitaux. En tant qu’infirmière, tout le fonctionnement des MRS est retombé sur nos épaules. Et on a été complètement abandonnées : aucun masque FFP2 ne nous était fourni, on disposait d’un masque chirurgical pour trois jours, et plus aucun personnel pour faire le nettoyage. On ne nous a proposé aucun équipement de protection convenable ! On nous a par ailleurs explicitement dit qu’on n’embaucherait personne pour faire le nettoyage dans les chambres de patients porteurs du Covid19 car “on ne pouvait pas sacrifier tout le monde”
Malgré les belles promesses des politiciens de “soutenir les métiers de première ligne” après la pandémie, on n’a pas vu la couleur de ces moyens chez nous ! La plupart des infirmières n’ont pas reçu de revalorisation salariale et le manque de personnel et les coupes dans le matériel de soin ne se sont pas arrêtés !
Tout cela génère parmi nous, au travail, une immense colère. Pour que le gouvernement continue d’acheter toujours plus d’armes de guerre et donne des milliards d’argent public aux capitalistes on coupe dans tous les budgets utiles à la population et on maltraite les malades, les personnes âgées et le personnel soignant. On ne peut plus soigner dignement, on s’épuise pour un travail toujours plus insatisfaisant. Actuellement la durée de vie au travail d’une infirmière est de 7 ans moindres (par rapport au reste de la population) à cause de l’épuisement lié à des conditions de travail et une qualité des soins inacceptables.