J’ai la cinquantaine, je suis ouvrier depuis que j’ai 18 ans. A 20 ans, j’ai été fier d’être embauché comme ouvrier dans la même usine automobile que mon père. Un jour, l’entreprise a restructuré, procédure Renault, alors j’ai été travailler ailleurs.
Après ça, j’ai fait près de 10 ans de nuit. Puis, quand les enfants ont eu fini de grandir, j’ai enchaîné plusieurs entreprises, en journée. Alors l’exploitation je connais, mon corps la connait, et ma femme aussi la connait car ça rend la vie plus difficile à la maison.
L’année passée, j’ai retrouvé de l’embauche dans la même usine automobile où j’avais commencé. L’entreprise a changé, les patrons ont changé, la tenue de travail a changé, mais c’est la même usine.
J’occupe exactement le même poste qu’il y a 20 ans. Mais cette fois-ci comme intérimaire, sous la direction d’un sous-traitant. C’est exactement le même poste, dans la même usine. Mais pour un salaire plus bas.
J’ai rapidement été appelé à faire des semaines complètes. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Bien des collègues doivent faire avec moins, et sans arriver à recevoir le chômage complémentaire. L’ONEM fait comme si c’était un choix de rester en intérim ! Cela fait toujours plus de mains-d’œuvre à exploiter pour Uber, etc… vers qui se tournent souvent ceux qui n’ont pas d’autre choix pour ramener un salaire « complet »…
Malgré les semaines complètes, je reçois 3 contrats par semaine, un pour lundi-mardi, un pour mercredi, un pour jeudi-vendredi. On reçoit le contrat la veille à 19h, avant ça, c’est l’incertitude. Pour l’intérimaire, s’organiser, prévoir, relève de l’impossible. Mais pour le patron c’est un moyen de ne pas nous payer les jours de maladie.
Comme si ça ne suffisait pas que le système d’intérim pousse à ne pas déclarer la maladie ! Pour y arriver la direction nous plonge dans une concurrence folle en organisant un « classement ». Si tu tombes malade, si tu dis « non » à un contrat pour n’importe quelle raison, tu descends dans le classement. Et être en bas du classement, ça veut dire n’être appelé que quand la direction a contacté tous ceux au-dessus de toi. Pour remonter dans le classement, tu en es à attendre que ceux au-dessus de toi craquent et refusent un contrat, pour prendre leur place. Ils nous mettent vraiment dans une position inhumaine les uns vis-à-vis des autres, ça nous divise !
Théoriquement, une autre manière de monter dans le classement serait que ceux en tête reçoivent un contrat, comme c’est prévu par la loi. Mais la loi sur l’intérim n’est qu’un tissu de mensonges, elle n’est pas appliquée, car l’État est du côté des patrons.
Par exemple, chez nous, l’entreprise a reçu de l’État une dérogation, elle peut garder l’ouvrier en intérim pendant 3 ans, alors que la loi prévoit beaucoup moins au départ. Mais 3 ans, ça ne suffit pas aux patrons. On ne compte plus les collègues qui ont plus de 4 ans d’intérim, voire plus, en toute impunité.
C’est la même chose pour les contrats hebdomadaires. Chez nous, la théorie c’est qu’après quelques mois, l’ouvrier passe en contrat hebdomadaire. Mais la direction les donne au compte goutte, pour ne pas avoir à payer les jours de chômage.
Car pour ceux qui n’ont pas de contrat hebdomadaire, les jours de chômage signifient ne pas avoir de contrat, mais sans recevoir de C4 ! Pour avoir le C4, il faut faire la démarche seul : faire la demande à la boite d’intérim, le récupérer et l’envoyer soi-même. Sinon, tu tombes dans un trou bureaucratique : sans contrat, mais pas demandeur d’emploi, donc pas de chômage. A croire que la procédure est rendue pénible exprès ! Histoire de nous tenir en disponibilité, sans nous payer !
L’intérim c’est infernal. Aujourd’hui, qu’on soit jeune ou ancien, c’est presque mission impossible d’y échapper et de ne pas y rester enfermé.
Avec mon expérience je peux mesurer à quel point c’est un recul énorme pour tous les ouvriers, au seul profit des patrons ! Alors à bas l’intérim, à bas la division qu’elle entraîne entre ouvriers, à bas l’exploitation qu’elle renforce même une fois qu’on a reçu le contrat !