En moins de dix jours, la coalition dirigée par la milice Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), héritière de la branche syrienne d’Al-Qaïda, soutenue par la Turquie et sans doute par les USA, a pris Damas et fait tomber la dictature sanglante de Bachar Al-Assad, qui a trouvé refuge en Russie. Mais le changement de régime ne sortira pas les populations du chaos entretenu par treize ans de guerre civile en Syrie.
Le conflit en Syrie et sa perpétuation trouvent leur origine dans la domination impérialiste sur le Moyen-Orient.
Une région déchirée par l’impérialisme
Les frontières des pays du Proche Orient furent tracées par les colonisateurs européens à l’occasion des accords de Sykes-Picot en 1916. Ces accords donnèrent naissance à une série d’États artificiels, la Syrie, la Jordanie, le Liban et l’Irak, et préparèrent le terrain à la future partition de la Palestine, entre l’État d’Israël actuel et les territoires palestiniens. Comme en Afrique, les tracés des impérialistes ignorèrent les intérêts et les aspirations des nombreuses populations et ethnies de la région. Le territoire actuel de la Syrie était sous la domination de la France qui, pour assurer sa domination sur des entités plus petites, détacha l’actuel Liban de la Syrie et tenta même de diviser la Syrie en quatre « États » distincts. Diviser pour mieux régner…
Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale – dont la France était sortie affaiblie – que la Syrie obtint son indépendance. Après des années de troubles et l’éphémère expérience d’une « République Arabe Unie » (1958-1961) avec l’Egypte du général nationaliste Nasser, le parti Baas prit le pouvoir sur le pays. Hafez El-Assad concentra le pouvoir entre ses mains après un ultime putsch en 1970. Au pouvoir, la famille Assad imposa une dictature militaire féroce à la population. Mettant en place un système de surveillance généralisée par une myriade d’organisations que les citoyens syriens étaient « invités » à rejoindre. A cela, les services secrets qui avaient appris les techniques de répression sous l’occupation française, en firent abondamment usage pour museler toute opposition au régime
La révolte de 2011
La révolte de 2011 commence en Syrie, pour les mêmes raisons que les révoltes des autres pays arabes. Les Assad, père et fils, avaient imposé une dictature honnie depuis des décennies, tandis qu’une bourgeoisie insolente, proche du régime, s’était enrichie. Une ceinture de pauvreté – aggravée par la guerre en Irak – s’était développée autour des villes, avec une explosion de constructions illégales et un chômage massif, en particulier dans la jeunesse.
A partir de mars 2011, la contestation s’amplifia. Par milliers dans les principales villes, jour après jour, les manifestants réclamaient l’amélioration de leurs conditions de vie et la fin de la dictature du clan au pouvoir. Chaque fois, le régime envoyait sa police et des bandes de voyous à sa solde tirer sur la foule. Pour tenter de juguler la contestation, Assad misa sur les divisions confessionnelles du pays. Se présentant comme le protecteur des minorités religieuses, alaouites et chrétiennes notamment, Assad chercha à les mobiliser – en les prenant en otage en réalité – face à la majorité sunnite du pays.
Les puissances régionales et impérialistes s’en mêlent
Les manifestations avaient beau se succéder, être de plus en plus massives, le régime ne pliait pas. Et cela pour plusieurs raisons. En Tunisie et en Égypte, ce sont les puissances impérialistes qui ont usé de leur influence sur l’armée pour faire partir les dictateurs. Afin de préserver l’appareil d’État, une transition politique par le haut fut mise en scène et Ben Ali (le dictateur tunisien) et Moubarak (le dictateur égyptien) ont été poussés dehors pour désamorcer la révolte populaire.
Mais en Syrie, ni l’impérialisme américain ni l’impérialisme français ou anglais ne disposaient de tels liens avec les sommets de l’armée qui auraient pu être une solution de rechange. Les Assad, père et fils, avaient réussi à maintenir une relative indépendance vis-à-vis des pays occidentaux, en entretenant des liens privilégiés avec l’URSS puis la Russie, et aussi avec l’Iran.
Tout en regardant Bachar El-Assad réprimer la contestation, les puissances impérialistes pouvaient cependant saisir l’occasion de l’affaiblir en laissant agir leurs alliés régionaux.
En fait, la contestation du régime syrien, sociale et politique au départ, s’est transformée en guerre civile territoriale et aux apparences de plus en plus confessionnelle. En réalité, la Syrie est devenue l’arène dans laquelle les pays de la région, et derrière eux les grandes puissances, règlent leurs différends par bandes armées interposées.
Deux groupes s’affrontent
D’une part, un ensemble en majorité chiite qui englobe l’Iran, les régimes irakien et syrien, et jusqu’au Hezbollah libanais, avec le soutien de la Russie.
D’autre part, un ensemble qui réunit le Qatar, l’Arabie saoudite, la Turquie et l’Égypte, alliés des impérialismes occidentaux. L’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar, hostiles à l’arrivée en force de l’Iran sur la scène régionale, fournirent à différentes milices, toutes plus ou moins « djihadistes » de l’argent, des bases d’entraînement et des armes. Mais les impérialistes n’agissent pas autrement, en soutenant le groupe djihadiste Al-Nosra, lié à al-Qaïda, qui « faisait du bon boulot », selon l’expression utilisée en 2012 par le ministre français des Affaires étrangères.
Certains réduisent ce conflit à un affrontement religieux, entre un bloc chiite pro-Assad et un bloc sunnite anti-Assad, et laissent penser qu’il s’agit d’une guerre de religion. Mais c’est en réalité une guerre d’intérêt entre camps bourgeois et chacun de ces deux camps est lui-même déchiré par des rivalités et par les manigances des uns et des autres. **Ainsi, la France comme la Turquie ont pu bien s’entendre avec Hafez puis Bachar El-Assad avant de retourner leur veste.
Poussée des groupes djihadistes
Dans ce chaos renforcé par le jeu des alliances, les groupes djihadistes récupéraient de divers côtés armes, matériel et argent. Au fur et mesure des combats, des victoires ou des revers militaires, leurs milices se formaient, s’alliaient, rivalisaient et certaines changeaient d’allégeance. C’est dans ce contexte que l’organisation « l’Etat islamique » réussit à s’emparer d’argent, d’armes et d’un territoire relativement important en Irak et en Syrie. Ses dirigeants y imposèrent une dictature religieuse et militaire brutale contre les populations, en particulier contre les femmes.
La progression rapide de l’Etat islamique en Irak et en Syrie signifiait pour l’impérialisme le risque de voir éclater tout le Moyen-Orient et le système d’alliances sur lequel se basait son contrôle sur les ressources pétrolières et les voies commerciales tel le canal de Suez. Les États-Unis constituèrent alors une coalition anti-Etat-islamique.
Cela permit à la Russie et à l’Iran d’aider Assad à regagner du terrain. Les États-Unis soutinrent les milices kurdes syriennes, qui combattirent pour reprendre, au prix de lourdes pertes, le territoire occupé par les djihadistes de l’Etat islamique. Condamné en paroles pour ses exactions et ses bombardements, Assad apparaissait finalement comme un moindre mal aux dirigeants américains, à défaut de trouver un interlocuteur plus fiable.
Mais une fois les territoires repris à l’organisation État islamique, avec le retour à une situation relativement stable du fait de l’intervention de la Russie et de l’Iran, les cartes furent rebattues. Certains alliés d’hier, perdant en quelque sorte de leur utilité, redevinrent les ennemis à mettre à genoux. Trump s’en prit ainsi au régime iranien. La Turquie s’en prit aux Kurdes, abandonnés par les Américains après les avoir utilisés contre l’Etat islamique,…
Conséquences pour les populations
Depuis treize ans, les populations subissent les conséquences brutales de cette guerre qui a déjà fait plus de 620.000 morts, dont une majorité de civils. Plus de 12 millions de Syriens ont dû quitter leur ville ou leur village, plus de 5 millions sont partis à l’étranger : au Liban, vers la Turquie, la Jordanie, l’Europe… souvent au péril de leur vie.
La Syrie est en ruines. Le régime Assad vermoulu par la corruption, impose des taxes toujours plus élevées aux populations et ce sont les travailleurs qui payent au quotidien l’effet des sanctions internationales. La pauvreté explose. A Alep, 90% des jeunes sont au chômage et il est pratiquement impossible de survivre sans l’aide de proches à l’étranger ou de l’aide humanitaire. Le régime est honni et sa base sociale s’est réduite à peau de chagrin.
Extension de la guerre
La chute d’Assad s’inscrit aussi dans l’emballement guerrier d’Israël qui plonge tout le Moyen-Orient dans le chaos. Parallèlement au massacre des populations de Gaza et l’expulsion de nombreux Palestiniens de Cisjordanie, le gouvernement israélien s’en est pris au Hezbollah et à l’Iran. Les plus fidèles soutiens du régime d’Assad sont affaiblis. Quant à son autre soutien, la Russie, elle est davantage occupée depuis trois ans par la guerre en Ukraine.
Sans ses soutiens, l’Etat syrien, honni et vermoulu par la corruption, est tombé en quelques jours face aux avancées du groupe Hayat Tahrir Al- Cham (HTC) dirigé par la Turquie et très probablement en sous-main par les USA qui y voyaient un moyen d’étendre leur influence dans la région et d’affaiblir l’Iran et la Russie.
La chute d’Assad a généré des explosions de joie bien compréhensibles en Syrie et parmi les Syriens qui ont fui le pays.
Pourtant, rien ne garantit que la situation s’améliore pour la population.
Le groupe HTC et son chef Al-Joulani semblent vouloir ménager les bonnes grâces des impérialistes en se présentant comme des islamistes respectant les intérêts des pays occidentaux. Al-Joulani prétend vouloir construire un modèle économique libéral comme au Qatar. Il a organisé une passation de pouvoir avec le Premier ministre du régime déchu.
Mais dans un pays ravagé par la guerre civile, le nouveau régime risque bien de n’être qu’une nouvelle dictature, si la guerre civile ne reprend pas à courte échéance…
Et l’impérialisme accentue sa domination sur le pays. Au moment de la prise du pouvoir par HTC, Israël – soutenu par les USA – a détruit en deux jours plus de 300 sites militaires syriens, supprimant ainsi toute force militaire aérienne ou anti-aérienne du pays. L’armée israélienne a continué son offensive en occupant le plateau du Golan.
Les travailleurs doivent renverser le capitalisme
Alors comment sortir de l’impasse tragique, sanglante, dans laquelle le système impérialiste a enfoncé les peuples du Moyen-Orient ?
Ce ne sont certes pas les interventions militaires occidentales qui le feront, au contraire. Les puissances impérialistes se sont appuyées sur les régimes et les organisations les plus rétrogrades et dictatoriales pour assurer leur domination et leur pillage dans la région.
Ce ne sera pas non plus par la lutte derrière des bannières nationalistes, même kurde ou palestinienne.
Ce ne sera finalement pas non plus derrière une quelconque religion qui se dirait plus humaine, ni d’une démocratie bourgeoise éphémère dont la voie est bouchée depuis plus d’un siècle à cause de la domination impérialiste.
Plus que jamais, la seule voie pour les peuples est de se donner les moyens d’en finir avec le capitalisme. La seule force pouvant accomplir cette tâche est le prolétariat, s’il passe outre ses divisions nationales et confessionnelles. Le seul moyen d’en finir avec les guerres permanentes et le sous-développement chronique est la révolution prolétarienne, pour aboutir à une fédération socialiste des peuples du Moyen-Orient et du monde.