Alors qu’il grimpe dans les sondages électoraux et qu’il recrute largement, le Parti du Travail de Belgique (PTB, PVDA en Flandre) est confronté à la tendance naturelle d’évoluer vers un parti réformiste.
Depuis les élections communales de 2012 où il est passé de 15 à 52 élus dont 31 conseillers communaux, 17 élus de districts à Anvers et 4 conseillers provinciaux, le PTB ne fait que monter dans les sondages pour les prochaines élections communales, régionales et législatives de 2018-2019.
En 2014, le PTB a obtenu deux élus au Parlement fédéral, deux au Parlement wallon et quatre au Parlement de la Région Bruxelloise. Depuis, de sondage en sondage, les intentions de votes sont en hausse pour le PTB, aussi bien en Wallonie où il est crédité de plus de 20 % des voix, qu’à Bruxelles où il atteindrait 12% et même en Flandre où il dépasserait maintenant 5%. Beaucoup de sondés déclarent souhaiter que le PTB participe au gouvernement.
Le tournant de 2008 vers un parti « ouvert »
Le PTB s’est créé en 1979 dans la foulée du mouvement étudiant des années 68 en Flandre, sur des bases maoïstes et stalinienne. Pendant des années, il ne recueillait que 1 à 2 % des suffrages aux élections.
Mais en 2003, explique Raoul Hedebouw, porte-parole du PTB à l’hebdomadaire Le Vif/L’Express du 13/12/2012 : « … on a perdu la moitié de nos voix, alors qu’on avait fait campagne comme jamais auparavant. Cet échec a été un électrochoc. On s’est dit : il y a un truc qui cloche, on milite depuis plus de vingt ans, et même dans les bastions industriels, on reste bloqué à 1 ou 2 %. Cela a entraîné des débats assez durs à l’intérieur du parti. Certains ont dit : ça suffit avec ces revendications maximalistes, cette approche provocatrice, cette incapacité à travailler avec les syndicats et les autres partis de gauche ! En fin de compte, cela a provoqué le départ de 3 des 8 membres du bureau national (…) dont la secrétaire générale du PTB à l’époque, Nadine Rosa-Rosso. »
Le congrès de 2008 qui a suivi s’est donné comme orientation : « Un parti de principes » avec une « colonne vertébrale », « un parti souple », « un parti de travailleurs ». Son congrès de 2015 a confirmé cette ligne.
En 2008 la direction, « renouvelée » et « rajeunie », a demandé à ses militants d’abandonner leur ancien dogmatisme et sectarisme pour s’ouvrir largement.
Dans le même temps le discrédit des partis socialistes s’accroissait au fur et à mesure des politiques gouvernementales d’austérité qu’ils imposaient depuis les années 1980. Alors que le PC n’existe quasiment plus en Belgique, le PTB devenait le plus important des petits partis à gauche du PS.
La passivité des directions syndicales, face au patronat et aux coalitions gouvernementales des partis socialistes et sociaux-chrétiens, a aussi contribué à rendre de plus en plus visible le PTB, ses militants, notamment ses militants d’entreprises et surtout ses porte-paroles, dont Raoul Hedebouw en Wallonie et en Flandre, Peter Mertens, président du PTB.
De 4 000 adhérents en 2008, le PTB annonçait être passé à près de 7 000 en 2012 et plus de 10 000 début 2017.
Après son congrès de 2008, le PTB a abandonné toute référence à la révolution prolétarienne, ainsi que l’emblème communiste historique de la faucille et du marteau. Il se refuse à l’analyse de l’évolution de l’URSS et de la Chine, laissée aux « historiens ». Il n’entend pas non plus prendre position et encore moins s’immiscer dans la vie politique d’autres pays.
N’abordant pas l’analyse de sa propre évolution politique, le PTB se présente comme un parti seulement tourné vers l’avenir.
Mais pour quel avenir ?
Peter Mertens en mars 2013 : « Mais nous devions aussi changer le parti, le moderniser. En faire un parti ouvert, où chaque travailleur se sent chez lui. Un parti qui travaille avec des gens très divers, avec les syndicats et sur le terrain, et qui ne s’oppose pas continuellement à d’autres organisations sociales. Et un parti également sans dogmatisme. Le socialisme n’est pas un livre de recettes avec tant de grammes de ci et tant de grammes de ça. Nous n’avons pas non plus la réponse à tous les problèmes, et ne devons pas avoir l’air de détenir LA vérité absolue ni avoir une attitude de maître d’école qui met en garde en agitant le doigt. Nous sommes cependant convaincus que nous pouvons, ensemble, avec les gens, trouver les meilleures réponses possibles. »
Le PTB met en avant la lutte pour la paix dans le monde face à l’impérialisme guerrier. Mais les moyens d’amener la paix ne sont pas évoqués. Le lecteur peut très bien envisager que cela puisse se faire par des moyens pacifiques, pourquoi pas par des majorités électorales. Alors que toute l’histoire depuis 250 ans montre que la guerre est inhérente au fonctionnement du capitalisme et que seul le renversement du capitalisme pourra y mettre fin.
Un « socialisme 2.0 » débarrassé de l’exploitation et de la guerre est l’objectif, mais sans jamais évoquer comment pourra être renversé le capitalisme. Le lecteur, ou l’adhérent au programme du PTB venant notamment du mouvement socialiste, peut très bien conserver ses illusions dans une transition pacifique vers le « socialisme 2.0 ». Alors qu’il est évident que les plus riches de la planète, et la cohorte de petits bourgeois qui leur collent aux basques, n’accepteront jamais d’abandonner leurs privilèges sans se défendre par tous les moyens, y compris les plus violents.
Les références internationales du PTB ne sont plus les PC d’URSS, de Chine ou de la Roumanie de Ceausescu, mais la « « Gauche unie européenne », où l’on retrouve Syriza, Podemos, Rifondazione communista, le Front de gauche, le PCF… » (Raoul Hedebouw, Le Soir, 20 mai 2016). « Notre manière à nous se rapproche, question organisation de la résistance et vision de la société, davantage, en gros, du Parti communiste du Portugal que d’autres partis. » (Peter Mertens, interview réalisée par Nick Dobbelaere, 13 mars 2013, site du PTB)
Pas une seule critique publique n’est formulée vis-à-vis des directions syndicales qui restent pourtant l’arme au pied face aux attaques patronales relayées par les divers gouvernements. Certes ils ont appelé à quelques journées de grève et de blocage de zonings, mais ils ont toujours dispersé leurs appels quand un mouvement pouvait prendre une certaine ampleur, laissant les travailleurs et les militants se démoraliser.
Pour le PTB, la lutte de classe est ramenée à une lutte de type syndical, avec des revendications locales, concrètes, « atteignables ».
Peter Mertens, explique : « À Bruxelles, à Gand et dans d’autres villes, nous avons mené des actions contre des escalators en panne, avec les utilisateurs, les travailleurs et les syndicats. Et ces escalators ont enfin été réparés. Est-ce que cela a changé la société ? Non. Est-ce que cela a montré que, si l’on met de la pression, on fait bouger les choses ? Absolument. Même chose pour nos actions sur l’augmentation des tarifs du stationnement à Charleroi, Bruxelles ou Herstal. » (13 mars 2013, site du PTB)
Peter Mertens précise cependant : « Nous n’avons absolument pas l’ambition de refaire le chemin de la social-démocratie, d’être un parti qui veut limer les aspérités du capitalisme et participer à la gestion de ce système. Non, nous sommes un parti marxiste, qui lutte pour une société socialiste moderne. » (…) « Dans le contexte tel qu’il est actuellement en Europe, il nous paraît impossible de participer à une coalition gouvernementale qui ne veuille pas rompre avec la politique de l’Union européenne. Sans une majorité cohérente qui entende mener un programme en rupture avec celle-ci, sans majorité forte prête à mobiliser la population contre cette politique, il ne peut être question de participation à un gouvernement. »
Ce positionnement du PTB « à gauche du PS », la crise économique, le discrédit des Parti socialiste et une intense activité militante ont permis au PTB un recrutement large d’adhérents et l’augmentation du nombre d’électeurs permettant le succès de 2014, et maintenant la progression dans les sondages pour les prochaines élections.
Une ouverture qui donne des résultats…
Avec cette politique suffisamment floue, beaucoup de travailleurs peuvent se reconnaître dans le PTB.
Mais en mars 2013 Peter Mertens prévenait : « … les gens qui rejoignent actuellement le PTB ne connaissent bien sûr pas automatiquement notre programme ou notre vision, et pas forcément très bien l’analyse marxiste. C’est pourquoi, en 2013, nous voulons prendre le temps nécessaire pour développer la formation à tous les niveaux, pour renforcer la colonne vertébrale de notre parti. On peut être souple, tactique et flexible, mais il faut une épine dorsale, sinon la souplesse est celle d’une poupée de chiffons. Nous poursuivons le développement du PTB, mais nous allons aussi consacrer du temps à encadrer et à former des nouvelles personnes qui veulent s’engager davantage comme membre actif du PTB. »
Bien sûr les médias et politiciens des partis traditionnels ne ratent pas une occasion de dénoncer le PTB, extrémiste, communiste, marxiste, stalinien, défenseur de la Corée du Nord. En Flandre, des politiciens discutent même d’instaurer un « cordon sanitaire » autour de ce parti « extrémiste ». Il n’est pas sûr que ces critiques venant du monde politique aient nui au PTB, au contraire semble-t-il. Le PTB est toujours vu par beaucoup de travailleurs comme un parti communiste et lutte de classe.
… mais pose de nombreux problèmes politiques et militants
Le PTB se trouve ainsi devant un dilemme comme l’écrit le président du PTB dans Solidaire du 27 janvier 2017 : « Les grands défis du PTB pour transformer de bons sondages en véritables changements ». Il n’est « Pas illogique que les gens veulent notre présence au gouvernement »… « Ils estiment que la redevance TV doit disparaître, ils veulent que le prix des médicaments baisse, ils veulent qu’on taxe les grosses fortunes… Mais ils ont aussi le sentiment que nous sommes le seul parti encore à l’écoute de ce qu’ils pensent. Nous nous ne sommes pas d’accord que les gens doivent se tuer littéralement au travail et qu’ils ne peuvent prendre leur pension qu’à 67 ans. »
Et le 25 mars il précise : « On ne peut pas attendre de nous que nous entrions dans un gouvernement pour reculer l’âge de la pension, continuer à faire la chasse aux chômeurs et poursuivre la libéralisation des services publics. Nous voulons changer fondamentalement les traités européens, et ce n’est possible que si un gouvernement décide de se battre contre les principes actuels de concurrence et de déséquilibre, et si ce gouvernement demande et obtient à cet effet le soutien actif de sa population. Aujourd’hui, nous sommes (encore) bien loin de cette situation. »
Il continue en proposant : « Organisez-vous, dans les syndicats, dans les mouvements de jeunesse, d’étudiants, de défense des droits des femmes, de défense de l’environnement, antiracistes, pacifistes, dans des comités de quartier, dans des groupes de théâtre, de musique et de sport. Il s’agit de bien plus que de donner une voix à un parti. Il s’agit de transformer cette voix en force collective, organisatrice et culturelle. »
Rien sur la perspective d’organiser les travailleurs ! La lutte de classe absente des perspectives du PTB ?
Peter Mertens prévient : « Nous savons aussi que, pointé en deuxième position en Wallonie, le PTB fera l’objet d’attaques redoublées pour effrayer l’homme de la rue avec la « peur du rouge » ».
Effectivement, le mois précédent, en février 2017, la direction de la branche cheminots de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB, syndicat lié au Parti socialiste) dénonçait dans un courrier à Peter Mertens : « Le PTB infiltre les syndicats » (…) « Il nous est rapporté que depuis plusieurs semaines, des membres du parti interfèrent de manière directe et indirecte auprès de nos délégués et dans les instances syndicales (…). Cette ingérence nuit gravement au fonctionnement de notre secteur (…). Nous vous demandons de prendre toutes les mesures nécessaires afin de faire cesser immédiatement ces pratiques. »
Benjamin Pestieau, responsable du « département des relations syndicales » du PTB répondait « Nous avons bien reçu ton courrier (…). Nous avons également rappelé à notre section quelques principes – adoptés lors de nos deux derniers Congrès (…). Comme parti nous voulons soutenir la lutte des travailleurs dans ses différentes formes et sur ses différents plans. Aucune de nos actions ne peut nuire au fonctionnement des organisations syndicales. Au mieux, elles doivent les appuyer et les renforcer. »
Et Raoul Hedebouw de répliquer à la FGTB cheminots : « … l’influence du PS et du CDH dans la FGTB et la CSC reste de loin la plus importante, c’est historique. Et nous ne militons ni plus ni moins que les autres dans les syndicats. (…) On agit à ciel ouvert, à visage découvert, rien d’autre, et dans le respect de l’indépendance syndicale, c’est une exigence chez nous, tout simplement. »
Quelles perspectives pour le PTB ?
Sur le plan électoral, les sondages favorables au PTB peuvent se maintenir et même augmenter. Bien que, comme l’écrit P. Mertens en mars 2017 : « … nous sommes aussi à un an et demi des élections communales [octobre 2018], à deux ans des législatives [2019]. Beaucoup, beaucoup d’eau coulera sous les ponts d’ici là. »
Il poursuit : « Le fait que le PTB deviendrait, selon ce sondage, la deuxième force politique en Wallonie et la troisième à Bruxelles nous place devant de grands défis. Lors de notre Congrès de la solidarité en 2015, nous avions tenu à souligner : « En un laps de temps relativement court, nous avons continué à construire rapidement le parti ; ce qui était nécessaire. Mais ce serait une erreur de nous reposer sur nos lauriers, car les défis dans la société restent très grands. Plus nous grandissons, plus les tâches deviennent complexes. Nous sommes confrontés aussi, d’une certaine manière, à des difficultés liées à cette croissance. Ce n’est pas anormal, mais nous devons toutefois en être conscients. » »
Effectivement, sauf retournement majeur toujours possible, avec les élections à la proportionnelle en Belgique, le PTB pourrait se retrouver avec de nombreux élus, dans des communes ouvrières bien sûr, mais aussi dans les parlements wallon, bruxellois et flamand. Mais élus sur quelle base ? Pour quelle politique ? Avec quelles illusions des électeurs ?
Quel seraient les sentiments des électeurs si le PTB, en situation de participer à des coalitions gouvernementales, s’y refusait ? Quels seraient les choix des élus qui ne sont pas des militants de longue date acquis à une discipline politique ?
Le succès électoral pourrait alors se transformer en tensions interne, voire en scissions… ou entraîner le PTB sur « le chemin de la social-démocratie » malgré les engagements de Peter Mertens en 2013. Et renouveler la « … douloureuse expérience de Syriza, en Grèce, que l’establishment européen a contraint à obéir et qui a donc laissé tomber la mobilisation et l’organisation de la population de gauche… »
En avril 2016, au Conseil communal de Mons, le PS se séparait des libéraux du Mouvement Réformateur (MR). Les 29 élus PS étaient largement majoritaires, mais le quotidien Le Soir s’interrogeait sur une éventuelle nouvelle coalition pour gérer la ville. L’élu du PTB répondait : « Le PTB se réjouit que le MR sorte de la majorité à Mons ! Nous espérons que le PS mènera maintenant une politique plus à gauche. Pour le PTB, le bien-être des citoyens reste la priorité. Nous sommes prêts à négocier avec le PS, mais pas à n’importe quelle condition. »
Que le PS puisse mener une politique favorable au « bien-être des citoyens », et surtout des travailleurs, chômeurs, retraités, c’est une illusion, surtout dans cette période de crise. Mais envisager que le PS puisse céder à des conditions posées par le PTB relève du plus pur électoralisme.
Et quel avenir d’un tel parti dans les futurs confits sociaux ?
Peter Mertens déclare : « Nous ne devons pas nous faire d’illusions. Nous allons au-devant de périodes de turbulences : il suffit de penser à la toute-puissance des multinationales et des acteurs financiers (…) à la déstabilisation du Moyen-Orient, à la politique de guerre, à l’élection de Trump, à la vague de réfugiés et, ici, à la montée du racisme comme instrument pour diviser les gens et les monter les uns contre les autres. Le PTB veut une rupture avec cette politique actuelle, et c’est précisément la raison pour laquelle tant de gens nous manifestent de la confiance. C’est justement pour cela que nous voulons être très clairs : nous ne pouvons pas réaliser cette rupture sans un engagement actif de dizaines de milliers de personnes. Parce que les marges pour mener une autre politique deviennent de plus en plus petites. Il suffit de constater ce qui s’est passé en France avec Hollande. »
Oui, mais quelle « rupture » ? Rupture avec l’électoralisme inculqué à la classe ouvrière depuis des générations par les partis socialistes ? Rupture avec les directions syndicales liées aux milieux politiciens, et aussi au monde des affaires, qui refusent d’organiser une quelconque défense du monde ouvrier face aux attaques patronales ?
Sans ces ruptures il ne sera pas possible de s’opposer au patronat et aux gouvernements et préparer le renversement du capitalisme. Mais ces ruptures ne peuvent se faire en quelques mois, en quelques semaines et entraîner les millions de travailleurs nécessaires au renversement du capitalisme que s’il existe un parti d’une ou deux dizaines de milliers de militants conscients et aguerris.
Aguerris, cela dépend surtout de l’histoire, mais la conscience dépend essentiellement des choix politiques et militants d’un parti, y compris pour sortir renforcés des luttes et défaites qui aguerrissent.
Ce type de militants ne peut pas se former sans une politique claire, sans des perspectives de lutte de classe clairement proposées à l’avance.
Ce ne semble pas être la voie prise par la direction du PTB.
Le 18 juin 2017