Article paru dans la revue Lutte de Classe N° 163 éditée par Lutte Ouvrière (France)
Depuis les élections nationales et régionales du 25 mai dernier en Belgique, le PTB-PVDA (Parti du travail de Belgique – Partij van de Arbeid van België) compte deux élus au Parlement fédéral, composé de députés des trois régions. Il compte aussi deux élus au Parlement wallon et quatre élus au Parlement de la région de Bruxelles-Capitale. Dans le contexte de la crise économique et des crises communautaires entre les nationalistes wallons et flamands, qui ont laissé le pays sans gouvernement fédéral pendant un an et demi entre 2009 et 2011, le PTB a gagné en visibilité et enregistré des progrès.
C’est par le PTB que l’opinion publique a notamment appris qu’une entreprise comme ArcelorMittal ne payait que 0,73 % d’impôts, au lieu des 33 % du taux officiel, sur les 346 millions de bénéfices qu’elle a déclarés en Belgique en 2012. Ou encore que la femme de ménage du milliardaire belge Albert Frère paye plus d’impôts que le milliardaire lui-même. Ces informations ont été reprises par la presse bourgeoise. Quant à « l’expert fiscal » du PTB, Marco van Hees, fonctionnaire au ministère des Finances et auteur de plusieurs livres sur le paradis fiscal qu’est la Belgique, il a pu s’exprimer à plusieurs reprises à la télévision, faisant connaître le PTB comme le parti qui veut « taxer les millionnaires ».
En Flandre, le livre sur les pratiques capitalistes qui ont conduit à la crise bancaire Comment osent-ils ? de Peter Mertens, président du PTB-PVDA, a été un best-seller vendu à plus de 22 000 exemplaires.
Les militants ont donc le sentiment d’être sur la voie d’atteindre les objectifs qu’ils s’étaient fixés lors de leur dernier congrès en 2008 : « Devenir le parti des travailleurs, plus encore qu’aujourd’hui. Un parti où les ouvriers, employés, chômeurs, jeunes, intellectuels et indépendants se sentent chez eux. Un parti qui se met du côté des syndicats au lieu de les combattre. Un parti actif qu’on peut voir à bien plus d’endroits. Un parti de membres, basé sur des groupes de base avec une bonne dynamique de groupe. Qui est fortement implanté, tant dans les entreprises que dans les communes, avec une bonne interaction entre les deux. Un parti qui accorde aussi plus d’attention aux formations à tous les niveaux. »
Le PTB-PVDA progresse et il a démontré l’existence, au sein de l’électorat, d’un courant critique à l’égard des gouvernements et des dirigeants socialistes qui y jouaient un rôle de premier plan, un courant d’électeurs qui ne se retournent pas pour autant vers les divers démagogues nationalistes et communautaristes. Dans le contexte politique belge, c’est certainement un fait positif. Il reste à savoir dans quelle mesure il peut offrir de réelles perspectives aux travailleurs, dans cette période de crise où, comme dans les autres pays européens, la bourgeoisie est à l’offensive contre la classe ouvrière et ses droits.
Un parti venu du maoïsme… et du stalinisme
Amada (Alle macht aan de arbeiders – Tout le pouvoir aux ouvriers) a été créé en 1970 en Flandre, au lendemain des mouvements étudiants de 1968-69, avec le mot d’ordre « Bourgeois buiten » (Bourgeois dehors) alors que les étudiants nationalistes flamands se mobilisaient derrière le slogan « Walen buiten ! » (Wallons dehors !) La Belgique traversait alors une fois de plus une crise communautaire. Si les militants d’Amada se réclamaient du communisme, c’était de celui de Staline et de Mao Zedong.
Neuf ans plus tard, en 1979, Amada se renomma PTB-PVDA et décidait de s’implanter dans les grandes entreprises de l’ensemble du pays. Des dizaines de militants flamands déménagèrent dans les centres industriels de Wallonie. Ce fut le cas des parents de Raoul Hedebouw, aujourd’hui porte-parole du PTB et sa figure de proue dans la partie francophone du pays. Son père, ancien étudiant en psychologie à l’université de Leuven, fut un des cofondateurs du PVDA. Originaire de Bruges, il s’installa à Liège pour travailler dans la sidérurgie.
C’est ce passé qui allait permettre au PTB de devenir un parti d’extrême gauche implanté dans les deux régions linguistiques du pays et largement connu au sein de du milieu ouvrier. Mais il lui doit aussi ses caractéristiques politiques.
En décembre 1989, Solidaire, l’organe central du PTB, apportait son soutien au dictateur de Roumanie qui venait d’être abattu, l’appelant « notre camarade Ceausescu ». De même il soutenait le régime de Corée du Nord, la répression sanglante de la place Tian-anmen en cette même année 1989… pour ne citer que quelques-unes de ses prises de position les plus staliniennes. En 1994 encore, quatre ans après la chute du mur de Berlin, dans l’ouvrage Un autre regard sur Staline, Ludo Martens, président du PTB, réaffirmait publiquement le soutien du parti à l’Union soviétique de Staline.
Cependant quatorze ans plus tard, avec une nouvelle génération élue à la direction du PTB, le congrès de 2008 décidait d’abandonner les références à Staline et Mao et son soutien aux dictatures prétendument communistes de par le monde. Parallèlement, les références au communisme comme le marteau et la faucille disparaissaient de la une de Solidaire, le journal du PTB, ainsi que de son site Internet. Le parti continue évidemment de compter de nombreux militants se réclamant du communisme, même si la plupart évitent depuis d’aborder publiquement ces questions de fond.
Comment le PTB fait référence au marxisme
Le PTB continue aussi de se réclamer du marxisme et du socialisme. Le texte du congrès de 2008 affirme :
« Le socialisme est devenu une nécessité pour la survie même de l’humanité.
Jamais autant de travailleurs du monde entier n’ont participé en commun à la création de richesses, jamais la production n’a été aussi socialisée. Mais jamais non plus la propriété des grandes entreprises n’a été concentrée dans si peu de mains. C’est donc le pouvoir des transnationales et de leurs grands actionnaires (propriétaires) qui doit être mis en question.
L’évolution de la société nous place devant une double tâche. Le PTB nouveau veut, dans la période à venir, être à la fois un parti de principes et un parti souple. Dans un monde de changements rapides, nous avons besoin d’une colonne vertébrale solide. Notre analyse marxiste et notre engagement pour le socialisme déterminent l’identité de notre parti.
En même temps, nous avons besoin de souplesse et d’ouverture pour coller à la réalité des gens, pour les conscientiser, les mobiliser et les organiser et transformer le parti en parti de travailleurs. »
Le PTB défend aussi la conception marxiste de l’État qui « n’est pas né pas comme un organe neutre entourant la société, mais comme un instrument de pouvoir de la classe possédante ».
Le passage au socialisme est ainsi vu comme « le résultat d’une longue période de conflit entre les deux camps ennemis diamétralement opposés : la classe possédante (le capital) et la classe travailleuse, sur plusieurs terrains. Et, finalement, la classe ouvrière aura le pouvoir en main au détriment de la classe possédante. Il s’agit d’un renversement de la société, d’une révolution socialiste. » Pour « réaliser un tel passage vers le socialisme », la « classe ouvrière doit être préparée. (…) Elle doit être suffisamment organisée (…) et suffisamment consciente (…). La maturité de la classe travailleuse et la force de l’action de masse dépendaient pour une part importante des capacités des pionniers, de l’avant-garde, bref, des capacités du parti communiste. »
Le parti affirme aussi une critique du parlementarisme en faisant référence au « mouvement des travailleurs ». Pour le PTB, celui-ci « peut présenter d’importants résultats (…). Ces résultats, il les a obtenus en comptant sur ses propres forces : en s’organisant, en se conscientisant, en menant des actions et en créant des rapports de force favorables. Jamais une amélioration essentielle n’a été simplement concédée sans lutte ou sans pression (parfois internationale). (…) Notre discours n’est pas : “Nous allons résoudre cela pour vous”, mais bien : “Prenez votre sort en mains. Organisez-vous, mobilisez-vous, conscientisez-vous !” Notre rôle en tant que parti est celui-ci : aider à sensibiliser, organiser mobiliser. »
Une campagne « pour des élus de gauche au parlement »
Que deviennent ces principes politiques sur le terrain, là où il y a « besoin de souplesse et d’ouverture », notamment lors de la campagne électorale de 2014 et vis-à-vis des syndicats ? Lors des élections fédérales et régionales 2014, le PTB s’est présenté avec un programme très détaillé sous le titre « Notre avenir est social – Scénario pour une société plus sociale ». Il y avançait, « loin des vieilles recettes qui nous ont plongés dans cette crise », « cinq priorités – la lutte contre la pauvreté, un emploi stable, une vision sociale pour le climat, une fiscalité juste et une justice réellement accessible – et douze autres points clés du programme ».
Ce programme, selon le PTB, aurait été élaboré après une « enquête auprès de 41 420 personnes » et était agrémenté de nombreuses propositions concrètes. Au côté de revendications dites sociétales comme celles concernant la lutte contre le racisme ou l’homophobie, d’autres visaient à réduire les profits des entreprises pour améliorer les salaires et les retraites. Il s’agit de revendications qui se heurteraient certainement à une résistance farouche des capitalistes, du patronat et des gouvernements, et qui ne pourraient être obtenues que par des luttes importantes, avec une large mobilisation des travailleurs, surtout dans cette période de recul de l’économie où les entreprises aggravent l’exploitation et réduisent les salaires pour maintenir leurs profits.
Mais c’est justement sur le moyen d’imposer de telles revendications que le PTB reste très discret. Son programme électoral ne fait nulle mention des luttes nécessaires. Ainsi, le PTB déclare lutter pour « l’instauration d’une taxe des millionnaires. Une taxe de 1 % sur les fortunes de plus de un million d’euros, de 2 % sur les fortunes de plus de deux millions d’euros et de 3 % sur les fortunes au-dessus de trois millions d’euros. Cette taxe des millionnaires ne touche qu’une petite partie de la population, elle ne frappe que les 3 % les plus riches. Produit = huit milliards d’euros. »
Mais comment obliger les millionnaires à payer cet impôt supplémentaire, alors qu’ils ne payent bien souvent pas les impôts qu’ils doivent déjà, ou les payent bien en dessous du taux théorique ? Comment contrôler les avoirs réels des plus riches alors qu’ils ne sont même pas astreints à déclarer leur fortune ? À ces questions, les porte-parole du PTB répondent qu’il faut lever le secret des affaires et introduire un « cadastre des fortunes ». Mais qui imposerait ces mesures, qui exercerait le contrôle ? Seraient-elles obtenues par des lois parlementaires ? Par des luttes des travailleurs ? Le PTB ne se prononce pas publiquement, comme s’il voulait éviter de faire fuir les électeurs les plus réformistes.
Pour faire apparaître cette mesure comme réaliste et réalisable, les porte-parole du PTB évoquent généralement l’impôt sur la fortune en France, preuve qu’il serait possible de l’appliquer en Belgique. L’exemple français est pourtant la preuve qu’il ne suffit pas d’une simple loi pour faire rentrer l’impôt des plus riches. Les plus fortunés des Français ont tous les moyens d’échapper à l’impôt, y compris s’installer du côté belge de la frontière, ou bien en Suisse… C’est aussi la preuve que ce n’est pas parce qu’un peu d’impôt sur la fortune rentre dans les caisses de l’État que cet argent est utilisé pour le bien de la collectivité.
Cette revendication est présentée parallèlement au leitmotiv de la campagne demandant d’envoyer des élus du PTB aux Parlements. Les électeurs habitués aux programmes électoraux des grands partis ne peuvent donc que faire le lien : il faut des élus du PTB pour que de bonnes lois soient votées. Et c’est effectivement le message que veut faire passer le PTB : envoyer au Parlement des élus de « la gauche de la gauche », trente ans après que les deux derniers élus du PC belge ont perdu leur mandat en 1984, était présenté comme le gage d’un changement majeur. « Une nouvelle force de gauche s’est levée », triomphaient Raoul Hedebouw et Peter Mertens, respectivement porte-parole et président du PTB, au lendemain de leur petit succès électoral.
Il est vrai que le programme de congrès du PTB met en garde : « Jamais une amélioration essentielle n’a été simplement concédée sans lutte ». Raoul Hedebouw a répété que le PTB serait le relais des luttes au Parlement, et que les élus du PTB agiront au Parlement comme les élus du PTB dans les conseils communaux, qui appliquent le principe « rue-conseil-rue ». Mais c’est une chose de se faire le relais de comités de citoyens contre une taxe communale sur les poubelles, contre la fermeture de telle crèche ou pour la rénovation de tel logement social, ou encore des protestations du personnel communal contre la suppression de postes. C’en est une autre, bien plus difficile, quand il faudrait des luttes ouvrières mettant en cause les profits capitalistes, donc nécessitant une mobilisation bien plus large, plus déterminée, plus consciente.
Dans de telles luttes, les travailleurs ont besoin d’un programme, de revendications visant à changer durablement le rapport de force face au patronat et au gouvernement. Ces idées, ce programme de lutte ne peuvent pas seulement être diffusés aux militants, éventuellement aux adhérents et sympathisants, lors de formations organisées par le parti. C’est l’ensemble des travailleurs qui doivent entendre ces idées et ce programme pour qu’ils puissent rapidement les reprendre lors de leurs mobilisations.
Bien sûr, les campagnes électorales sont un moment important pour les partis ouvriers. Ce sont des moments où les travailleurs sont plus attentifs à la politique et où les militants communistes peuvent donc faire connaître plus largement leur programme. Elles sont l’occasion de rappeler que des avancées importantes pour les travailleurs ont pu être imposées par la lutte, bien plus que par les urnes. Et dans cette période de crise où l’augmentation des profits capitalistes se fait par l’aggravation de l’exploitation des travailleurs, où aussi l’histoire s’accélère, il est nécessaire d’anticiper sur les luttes à venir.
Cependant, il reste des campagnes électorales du PTB l’impression que, pour obtenir le maximum de voix de déçus du Parti socialiste et des Écologistes, les porte-parole du PTB ont voulu éviter de froisser les illusions électoralistes de ces éventuels électeurs. Peut-être cela a-t-il été efficace d’un point de vue électoral, mais cela ne fait pas avancer la conscience de la classe ouvrière, alors que c’est le problème fondamental, bien plus que les élus au Parlement.
Le PTB et les « expériences socialistes »
« Le socialisme a dû se construire en conflit permanent avec un capitalisme répandu dans le monde entier. Et cela l’a marqué. Dès le tout premier jour de son existence, la jeune Union soviétique fut confrontée à l’interventionnisme, au blocus économique, à l’encerclement politique et militaire, à la subversion, au sabotage et à la désinformation. La jeune Union soviétique a dû repousser une guerre d’intervention et, par la suite, elle a fourni une contribution déterminante à la défaite du fascisme hitlérien. Cela a coûté énormément de forces et d’énergie, lesquelles n’ont pu être investies dans d’autres domaines.
Dans de telles circonstances, la construction d’une société socialiste a toujours été un processus. En Europe, le système capitaliste a eu besoin de plus de deux cents ans – et de beaucoup de violence – pour se réaliser. Le socialisme aura également besoin de temps. Il n’existe pas de recettes toutes prêtes pour la construction d’une nouvelle société. C’est un long processus historique, avec des hauts et des bas. Avec de belles réalisations, mais aussi avec de sérieuses erreurs. »
Le PTB estime donc aujourd’hui que les dirigeants staliniens ont fait de « sérieuses erreurs ». Cela permet de ne plus devoir les justifier, mais n’explique pas quelles étaient ces « erreurs », ni donc surtout comment le mouvement ouvrier pourra les éviter à l’avenir. Reste que, pour le PTB, il y aurait eu au fond une pleine continuité de la révolution de 1917, d’où est née l’Union soviétique, jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Pourtant jamais Lénine, ni aucun des dirigeants du Parti bolchevique avant 1924, n’envisageait de « construire le socialisme » en URSS seule. Celle-ci héritait de toute l’arriération économique de la Russie et était isolée, soumise au blocus impérialiste.
Lénine et les dirigeants bolcheviques espéraient cependant tenir assez longtemps pour aider les classes ouvrières d’autres pays, pour que des révolutions ouvrières y éclatent à leur tour, afin que se renforce le camp de la classe ouvrière face au camp du capitalisme et que se desserre le carcan autour de l’URSS.
Ce fut l’espoir des militants encore révolutionnaires lorsque la puissante Allemagne fut secouée par une crise révolutionnaire en 1923, lorsqu’en 1927 en Chine – si proche de la Russie par ses contradictions sociales et pesant près d’un quart de la population mondiale – le prolétariat fit la démonstration de ses capacités révolutionnaires. La Révolution russe ne devait pas nécessairement rester isolée. Mais la bureaucratie soviétique et, à sa tête, Staline se méfiaient des possibilités de développements révolutionnaires dans d’autres pays. Ils choisirent de plus en plus ouvertement le maintien d’un statu quo face à l’impérialisme, ce qui garantissait au moins pour un temps les privilèges que les bureaucrates s’étaient octroyés sur le dos de la population.
En opposition à toute la politique menée jusque-là par le Parti bolchevique, les épigones staliniens inventèrent l’idée absurde que le socialisme pouvait se construire dans la seule URSS, dans un seul pays ! C’est à cette politique, et à toutes les déviations qu’elle comportait, que s’opposèrent ceux qui voulaient poursuivre la politique révolutionnaire de Lénine et du Parti bolchevique d’avant 1924.
Il n’y a pas, comme le PTB le laisse entendre, de continuité entre 1917 et 1941, ni politique, ni militante. Fin août 1940, de tous les camarades de Lénine du comité central du Parti bolchevique de 1917, seul Staline était encore vivant. Les autres avaient péri dans les camps, ou avaient été fusillés après des procès insensés et iniques, ou s’étaient suicidés. Trotski, en exil, venait d’être assassiné par un agent de Staline, comme des milliers de révolutionnaires communistes avant lui.
Dans cet affrontement entre deux camps opposés au sein du Parti bolchevique, il y a un camp à choisir. Les militants de 1924 et des années suivantes ont eu à choisir entre la politique de la bureaucratie stalinienne et le communisme internationaliste. La politique timorée de la bureaucratie soviétique avait fait échouer la révolution en Allemagne en 1923, comme elle allait la faire échouer en Chine en 1927. Quant à la révolution espagnole de 1936, les dirigeants de Moscou et les cadres staliniens en Espagne allaient contribuer à l’écraser en assassinant de nombreux militants révolutionnaires, tant anarchistes que trotskystes. Encore aujourd’hui on ne peut s’abstenir de comprendre cette expérience. Comprendre ce qui s’est passé alors en URSS, choisir duquel de ces deux camps on se sent solidaire est indispensable si l’on veut jouer un rôle révolutionnaire demain.
Certes, le PTB se veut plus ouvert aujourd’hui et ne traite plus les trotskystes de social-fascistes. Il a même fait liste commune avec la LCR belge (IVe Internationale). Le PTB refuse aujourd’hui d’assumer toute la politique stalinienne et déclare même, comme le fait Raoul Hedebouw, que cela ne fait pas très « sexy » vis-à-vis des électeurs. Mais sa vision reste entachée par cet héritage et, sans rupture avec celui-ci, le PTB ne peut que rester loin d’une politique révolutionnaire.
Dans son analyse de la Chine, le PTB reste aussi très loin d’une conception véritablement marxiste et léniniste. Le texte du congrès de 2008 résume la question : « Au début des années 1950, la Chine a entamé son passage au socialisme. » « L’histoire dira si les communistes chinois pourront développer de manière correcte et créative le socialisme dans cet immense pays du sud . » Mais la Chine n’a jamais été socialiste. La révolution chinoise de 1948 n’a conduit à la nationalisation de l’ensemble de l’économie que parce que la grande bourgeoisie et les capitalistes avaient fui avec les restes de l’armée de Tchang Kaï-Chek vaincue et que l’impérialisme avait imposé un blocus sévère de plus de vingt ans. Mao Zedong et le Parti communiste chinois, eux, ont défendu une politique d’alliance avec la bourgeoisie chinoise, du moins celle dite « nationale », y compris lorsque la plupart de ces grands bourgeois chinois ont choisi de s’exiler à Taïwan ou plus loin encore.
Et qui sont ces « communistes chinois » dont parle le PTB aujourd’hui ? S’agit-il de ces « princes rouges », comme la population appelle les dignitaires à la tête de l’État, dont le luxe et les affaires frauduleuses, avec notamment l’expropriation des terres paysannes, provoquent régulièrement des révoltes ? Le jour où la classe ouvrière et les paysans chinois entreront en lutte pour une société socialiste, ils devront commencer par se débarrasser de ces parasites qui dirigent le pays et qui font partie intégrante de la classe bourgeoise, même s’ils préfèrent s’abriter pour le moment sous le drapeau rouge étoilé.
Aujourd’hui, les dirigeants du PTB ne veulent plus soutenir ouvertement les dirigeants chinois. Mais ils se sentent toujours solidaires d’hommes qui sont les dirigeants de l’État chinois et d’un capitalisme féroce, et non des masses ouvrières et paysannes chinoises qui les subissent.
Pour justifier de ne pas dire toute la vérité politique aux travailleurs, le PTB recourt à des raisonnements hérités du stalinisme : il s’agirait de choix tactiques. Mais refuser d’exposer clairement les enjeux, refuser d’examiner les choix politiques passés et présents et de discuter de leurs conséquences, c’est aussi refuser d’élever le niveau de conscience des travailleurs et se rendre incapable d’aborder les situations révolutionnaires à venir en se plaçant réellement dans leur camp.
« Un parti de béton à côté d’un syndicat de béton » ?
L’héritage stalinien du PTB influe aussi sur son attitude envers les syndicats et la bureaucratie syndicale.
Dans son programme de 2008, le PTB se veut « un parti qui se met du côté des syndicats au lieu de les combattre ». C’est sans doute une remise en cause de la politique gauchiste et antisyndicale de ses débuts, mais c’est surtout la confirmation et l’amplification d’un rapprochement vis-à-vis des bureaucraties syndicales, accompagnée d’un soutien à leur politique.
Bien évidemment un travailleur doit être syndiqué. Mais les dirigeants des syndicats belges actuels représentent-ils les intérêts de leur base ? Dans les pays riches, et encore plus dans les pays dominés par l’impérialisme, les dirigeants des syndicats ont fait largement la preuve qu’ils ne défendaient ni les intérêts des travailleurs, ni même ceux de leurs adhérents. Le capitalisme a appris depuis longtemps à intégrer les syndicats dans son fonctionnement, et à donner des privilèges aux dirigeants syndicaux pour les couper de leur base.
Dans le texte du congrès de 2008, dans les discours des dirigeants du PTB à leurs fêtes, dans les divers ouvrages destinés au grand public édités depuis 2008, on ne trouve aucune critique des multiples trahisons des directions syndicales, que les travailleurs ont pourtant vécues, y compris dans un passé récent, ni aucune analyse critique de la bureaucratie syndicale. Le PTB fait ainsi l’impasse non seulement sur les trahisons staliniennes, mais aussi sur celles des appareils syndicaux d’aujourd’hui.
Tout au plus peut-on lire comme critique dans le texte du congrès de 2008 que « l’anti-syndicalisme est très vivant à la base. C’est souvent sous l’influence de la droite et des patrons, mais aussi de mouvements de lutte cassés, de déceptions à propos de décisions de certains responsables syndicaux ». Ainsi, ce serait une question de bons ou de mauvais dirigeants syndicaux, et non de politique menée par des appareils intégrés très largement à l’État capitaliste.
Le PTB se dit marxiste, mais ne propose aucune analyse marxiste de ces appareils qui emploient des milliers de salariés, notamment pour le paiement des allocations de chômage. Le PTB ne dit rien sur les nombreux secrétaires, payés à des salaires de cadre et toujours les premiers interlocuteurs des patrons en cas de restructuration, par-dessus la tête des militants dans l’entreprise, ni sur les très nombreux permanents que les grands et petits privilèges élèvent au-dessus de la masse des travailleurs exploités, ne serait-ce que par le fait d’être libérés de tout ou partie du travail de production. Ce sont des milliers de salariés et de militants dont le salaire ou la nomination dépendent de la direction des appareils syndicaux. Les syndicats belges sont des appareils puissants et conscients de leurs intérêts propres, distincts des intérêts des travailleurs. La remise en cause de leur rôle dans le paiement des allocations de chômage par un prochain gouvernement pourrait d’ailleurs être une cause de leur mobilisation bien plus déterminante que les mesures d’austérité qui pleuvent depuis des années sur la classe ouvrière.
Quant aux élections pour désigner les dirigeants des syndicats, tous les militants savent qu’elles sont contrôlées pour que ne puissent pas s’exprimer de courants différents de celui de la direction.
L’histoire du mouvement ouvrier belge, comme celle de bien d’autres pays, est riche de luttes importantes que les appareils syndicaux ont trahies ou menées dans des impasses. Ce n’est pas en suivant ces bureaucrates liés de mille liens et privilèges au système capitaliste que les travailleurs pourront imposer des changements mettant à mal les intérêts et le pouvoir de ce même capitalisme.
Un des objectifs d’un parti ouvrier révolutionnaire est donc nécessairement d’aider les travailleurs à s’émanciper de l’emprise des bureaucrates syndicaux, à prendre eux-mêmes la direction de leurs luttes, si possible à arracher la direction des syndicats des mains des bureaucrates. Mais cela ne peut se concevoir que dans le contexte de luttes intenses remettant en cause les intérêts des capitalistes, le pouvoir des gouvernements et les dirigeants syndicaux qui leur sont liés.
Les travailleurs n’en sont pas encore là, bien sûr. C’est un fait. Mais ces questions seront à l’ordre du jour lors des prochaines luttes importantes. Ce ne sont pas seulement les militants et les proches d’un parti ouvrier communiste qui devront être préparés à « prendre leur sort en mains », mais le maximum de travailleurs. C’est le seul gage que des luttes importantes aboutissent à des succès réels pour la classe ouvrière, menant au renversement de la société capitaliste. Il faut que des millions de travailleurs prennent alors confiance dans les idées, les perspectives et les moyens d’organisation proposés par le parti communiste révolutionnaire. Cela se réalisera avec d’autant plus d’efficacité que ces travailleurs vérifieront concrètement par eux-mêmes ce que le parti défendait théoriquement auparavant.
Permettre aux travailleurs de devenir conscients, c’est d’abord leur dire la vérité sur les problèmes qu’ils rencontrent, non seulement sur l’exploitation capitaliste vorace, la course aux profits qui aggrave le chômage, mais aussi sur les raisons pour lesquelles la classe ouvrière en est là : pourquoi actuellement elle ne se défend pas contre les attaques du patronat, pourquoi les syndicats n’organisent pas de contre-offensive, pourquoi ils freinent quand des luttes éclatent. Et bien sûr, sur un autre plan mais tout aussi déterminant, il faut savoir et dire comment l’URSS, créée sur la base de la première révolution ouvrière victorieuse, a pu être menée à l’effondrement par les bureaucrates staliniens.
Bien sûr, le rôle des militants révolutionnaires dans les syndicats ne se résume pas à en critiquer les directions et, comme le dit le texte du congrès : « Chaque lutte offre la possibilité d’activer des gens. Dans l’action collective, [même pour des objectifs limités] les gens apprennent à prendre leurs affaires en main. » Certes, mais encore faut-il des militants qui aient la préoccupation première d’aider les travailleurs à s’affranchir des tribuns qui ne passent jamais aux actes, des dirigeants syndicaux et des permanents qui craignent les travailleurs en lutte.
Mais les dirigeants du PTB semblent plus soucieux des appareils et des cadres syndicaux que des travailleurs du rang. Ainsi, le texte de 2008 dit-il que, « grâce à notre attitude positive durant le pacte des générations (mobilisation contre une loi portée par les partis socialistes pour allonger les carrières et baisser les pensions en 2006), en engageant le débat avec de nombreux responsables syndicaux sur une base correcte, l’ouverture envers le parti a augmenté. En renforçant les liens, la coopération ne fera que croître. »
« Comme parti politique, nous défendons loyalement nos positions envers les syndicats. Sur ce plan, nous aspirons à l’unité avec la plus grande majorité des responsables syndicaux et des délégués. »
« À des étapes cruciales de la lutte, le parti défend sa vision mais s’incline devant les décisions de la majorité. C’est l’organisation de masse qui mène la lutte. Ceci est en rupture avec notre passé où nous avons souvent appelé à des aventures sans relais syndical. »
Pour ne pas retomber dans le gauchisme des années 1970, les dirigeants du PTB d’aujourd’hui s’engagent en fait dans le suivisme vis-à-vis des appareils syndicaux. « L’organisation de masse » qu’ils évoquent ici n’est autre que le syndicat, contrôlé par la bureaucratie syndicale, et non pas une organisation des travailleurs en lutte contrôlée par ceux-ci, comme les comités de grève de la grève générale de 1960-1961 auraient pu en être l’embryon. Cela revient tout simplement à un appel à s’incliner devant la bureaucratie syndicale.
Troubles de mémoire ?
Le PTB n’hésite pas à réécrire l’histoire. Dans Première à gauche, Raoul Hedebouw revient sur la lutte contre la fermeture des Forges de Clabecq en 1997, une des dernières luttes d’ampleur dans le pays, qui avait duré six mois et que les dirigeants FGTB de l’usine avaient cherché dans une certaine mesure à élargir au-delà de leur seule entreprise, en opposition avec leur direction nationale.
Le jeune Raoul Hedebouw avait à l’époque servi d’interprète flamand à Roberto D’Orazio, dirigeant de la lutte. Mais, dans ses souvenirs de jeunesse, il oublie l’exclusion D’Orazio, en pleine lutte, par la direction de la FGTB ! De même, il ne dit rien de ces délégués de Clabecq qui avaient créé un Mouvement de renouveau syndical (MRS). Le MRS avait pourtant attiré de nombreux militants syndicaux de base de tout le pays, qui cherchaient une solution pour ne plus être constamment entre le marteau et l’enclume, contraints de justifier les reculs décidés derrière leur dos par la bureaucratie syndicale.
Pour plaire aux bureaucrates syndicaux, Raoul Hedebouw a des trous de mémoire ! Mais, plus grave encore, il réduit la possibilité que de futurs militants et, plus largement, des travailleurs conscients puissent connaître et discuter cette expérience de lutte, ses aspects positifs et ses limites, et aussi celles du MRS qui a représenté un espoir pour de nombreux militants, dont beaucoup furent d’ailleurs exclus de la FGTB.
Certes, le texte du congrès invite à lire les ouvrages sur cette lutte, mais on ne pourra pas non plus y trouver les limites que les militants syndicaux de Clabecq mettaient à leur action. Le tribun D’Orazio, chez qui le jeune Raoul a rencontré une « volonté de changer la société », avait les limites des syndicalistes combattifs. Il considérait par exemple qu’il n’avait pas le droit de s’adresser par-dessus leurs délégués syndicaux aux travailleurs d’autres usines pour leur proposer de s’organiser.
Et le PTB, engagé alors à fond et sans critique derrière D’Orazio – qui faisait la une de nombreux numéros de Solidaire de cette année-là – n’avait pas d’autre perspective à proposer à ces militants syndicaux que de tenter de peser sur la direction de la FGTB, au lieu de s’adresser directement à l’ensemble des travailleurs qui regardaient ce mouvement avec sympathie. Bien sûr l’élan de la lutte passé, la démobilisation et la démoralisation ont fait leur œuvre, et les dirigeants de l’appareil FGTB ont écarté les militants qui les gênaient.
Ce suivisme par rapport aux syndicats est devenu une constante de la politique du PTB. Ainsi, Christian Viroux, ancien permanent syndical de la région de Charleroi, à la retraite maintenant, qui avait notamment géré en bureaucrate le conflit de 104 jours aux verreries Splintex en 2004-2005, remerciait ainsi le PTB à l’occasion d’un meeting de la liste pour les élections fédérales sur laquelle il était en troisième position : « À aucun moment le PTB n’a essayé de récupérer le conflit et ne s’est jamais immiscé dans la gestion de celui-ci . »
Un flirt dangereux
En se rapprochant des fractions de l’appareil syndical FGTB pour le moment en froid avec l’appareil du PS, le PTB a pu élargir son audience électorale et le milieu de ses militants. Mais l’appareil syndical risque d’avoir bien plus d’influence sur le PTB que le PTB ne peut avoir d’influence sur l’appareil syndical.
Le PTB s’est réjoui d’avoir pu présenter 170 délégués syndicaux sur ses listes. Mais si le nombre de syndicalistes a augmenté au sein du PTB, ils ont apporté avec eux leurs années ou dizaines d’années de déformations syndicales et bureaucratiques. Et il est quasiment impossible qu’ils les abandonnent… si tant est que les dirigeants du PTB veuillent les engager sur cette voie. Les choix politiques du PTB renforcent l’influence de la bureaucratie sur ses propres militants, comme la tendance à faire les choses à la place des travailleurs et à se méfier de leur initiative. C’est les désarmer d’avance pour les situations où ils entreront en opposition avec les appareils syndicaux. Et c’est armer des dirigeants syndicaux qui sauront d’autant mieux mener les luttes dans l’impasse que le PTB leur aura fait à bon prix une réputation de gauche.
Combien de temps durera ce flirt de responsables syndicaux avec le PTB ? Il peut vite se terminer, car le PS se retrouve maintenant dans l’opposition au gouvernement fédéral et plus libre de tenir des discours démagogiques. Quel choix feront ces délégués syndicaux, hier sur les listes du PTB, quand les dirigeants socialistes leur feront des propositions bien plus alléchantes que celles du PTB ?
Si les militants ouvriers du PTB devenaient une menace pour l’hégémonie de la bureaucratie dans les syndicats, celle-ci n’hésiterait pas à se débarrasser de cette concurrence… sauf si une forte mobilisation ouvrière l’en empêchait. Ces dirigeants de syndicats se sont déjà débarrassé de nombreux militants, notamment du PTB et aussi ceux qui avaient rejoint le Mouvement du renouveau syndical de D’Orazio.
Les gages que le PTB donne aujourd’hui aux appareils syndicaux ne protègent pas ses militants d’une telle menace. Au contraire, faire applaudir aujourd’hui les dirigeants de l’appareil prépare à une désillusion et une désorientation qui frapperont les militants d’autant plus durement. C’est ainsi que la « nouvelle force de gauche » peut rapidement devenir un nouveau facteur de démoralisation.
Si les succès électoraux et militants du PTB se maintiennent, ce qui serait positif dans cette période de recul du mouvement ouvrier, la « colonne vertébrale » militante du PTB résistera-t-elle à l’arrivée de nombreux membres venus sur la base d’illusions réformistes et de militants ayant surtout comme formation les pratiques syndicales bureaucratiques ? Et le PTB gardera-t-il son héritage politique stalinien, ou bien le poids de ses nouveaux adhérents le poussera-t-il à adopter une politique plus éclectique, plus à la mode et plus petite-bourgeoise ? L’avenir le dira. Mais des travailleurs et militants ouvriers, y compris du PTB, ne pourront évoluer sur la voie révolutionnaire que s’il existe un réel courant militant proposant une telle politique aux travailleurs, une politique qui puisse les aider à s’émanciper de la tutelle de la bureaucratie syndicale. Un tel courant ne peut exister que s’il s’appuie sur la compréhension de toute l’expérience historique du mouvement ouvrier, y compris en tirant toutes les leçons des trahisons staliniennes, s’il s’appuie sur l’héritage du bolchevisme exprimé par le programme trotskyste.