Le droit de vote domestiqué

En 1830, le jeune Etat belge est fondé. Les premières élections sont organisées en novembre. 

Sur l’ensemble des habitants du nouvel Etat, à peine plus de 1% a le droit de vote : il s’agit des hommes riches capables de payer un impôt élevé, ainsi que quelques magistrats, notaires ou universitaires autorisés à voter par leur diplôme ou leur profession.

La bourgeoisie qui vient d’arracher le pouvoir à la noblesse construit un appareil d’Etat à son image… et à son service. Le rôle des députés élus est de gouverner au nom des capitalistes et de défendre leurs intérêts. Et le rôle des élections est de permettre l’affrontement des tendances qui traversent la classe capitaliste.

Mais par-delà ses divergences de tendances, la classe capitaliste était consciente qu’octroyer le droit de vote à la grande majorité des travailleuses et des travailleurs qu’elle exploitait était dangereux. C’est pourquoi elle a tout fait pour limiter puis encadrer le droit de vote.

En 1893, fut menée une des principales luttes du mouvement ouvrier pour le suffrage universel. Une gigantesque grève générale et des manifestations avaient, sous la direction du Parti Ouvrier Belge, abouti à des combats acharnés où la garde civile tua de nombreux ouvriers. Face à la force de la grève, la bourgeoisie, pressée par sa peur de voir son pouvoir lui être arraché, n’eut d’autre choix que de faire une première concession en matière de droit de vote. 

Ce fut le droit de vote plural pour les seuls les hommes: les riches et les notables disposaient de plusieurs voix chacun, les travailleurs une seule. Ainsi, la bourgeoise s’assurait de garder la majorité des députés.

Mais les travailleurs n’abandonnèrent pas la lutte ! En 1902 et 1913, ils menèrent de grandes grèves générales politiques, mais qui échouèrent par la trahison de la direction des socialistes belges. Finalement, la révolution russe de 1917 puis la révolution allemande de 1918 poussèrent la bourgeoisie à dépasser sa crainte du suffrage universel… par crainte d’une révolution ! Tous les hommes de plus de 21 ans eurent accès au droit de vote et le système plural fut aboli.

Il a fallu attendre la fin de la seconde guerre mondiale pour que la bourgeoisie, à nouveau par crainte de perdre davantage, cède le droit de vote aux femmes. Cependant, encore aujourd’hui, tous les travailleurs n’ont toujours pas le droit de vote. En sont exclus tous ceux qui n’ont pas la nationalité belge, même si ils travaillent depuis des dizaines d’années en Belgique et paient des impôts. 

En réalité, le droit de vote a toujours été manipulé et encadré de façon que le parlement reste le lieu où les partis politiques s’affrontent pour se mettre au service de la bourgeoisie. 

Certes, la grande majorité des travailleurs peuvent voter. Mais entretemps, la bourgeoisie a su corrompre une partie des dirigeants ouvriers, et les illusions parlementaires qu’ils propagent, tout comme les trahisons des socialistes et des staliniens, ont détourné la grande majorité des travailleurs des idées de leur classe, et en particulier, de la perspective du renversement du capitalisme.

Demain, si un mouvement de révolte amène les travailleurs à exprimer par leur vote la perspective du renversement du capitalisme, il est certain que les capitalistes trouveront un moyen de fausser les votes, d’interdire les partis, les journaux ou même les élections. 

Alors les révolutionnaires ont tout intérêt à utiliser les élections pour propager la perspective communiste révolutionnaire, tant qu’on a encore la liberté de s’exprimer. Mais ils doivent le faire sans aucune illusion.