L’ascension du RN en France

Fondé en 1972, le Front National était à l’origine un groupuscule rassemblant des nostalgiques de l’Algérie française. Le Pen obtenait 0,72% des voix à l’élection présidentielle de 1974, et n’avait pas réussi à se présenter en 1981, année où fut élu François Mitterrand à la présidence de la République.

Depuis, c’est la politique de la gauche comme de la droite qui ont permis au parti de Le Pen d’arriver aux portes du gouvernement.

La première présidence Mitterrand, terreau de la percée du FN

En 1981, la victoire de Mitterrand (du Parti Socialiste) créait la surprise. La droite gouvernait sans partage depuis 1958. Le résultat souleva un espoir de changement chez les électeurs de gauche, et surtout chez les militants socialistes et communistes. 

Dans les années 70, la crise frappait lourdement : la montée du chômage semblait ne plus pouvoir s’arrêter et les hausses de prix atteignaient les dix pour cent par an. Des secteurs entiers de l’industrie, la sidérurgie par exemple, étaient menacés de liquidation. Mitterrand, lui, annonçait “la rupture”. Son programme de 1981 promettait la résorption du chômage par une vaste politique de relance, et des mesures substantielles censées améliorer la vie des travailleurs. Le Parti socialiste de Mitterrand prétendait « Changer la vie, ici et maintenant ».

Pour faire campagne et gouverner, Mitterrand pu compter sur l’appui du Parti Communiste Français avec qui il avait signé en 1972 un programme commun. Les militants du PCF firent campagne pour Mitterrand et lui assurèrent son succès. Le gouvernement issu des élections de 1981 comptait quatre ministres communistes, cela créait la surprise.

L’espoir renaissait à gauche !

La relance par la consommation n’eut pas lieu. Les mesures du gouvernement ne suffirent pas à rehausser significativement le pouvoir d’achat des travailleurs et relancèrent plutôt l’utilisation de l’argent public pour faire des cadeaux aux entreprises. Ce fut l’exact prolongement de la politique de la droite. La crise se poursuivit, avec la hausse du chômage et des prix et en juin 1982, un an à peine après l’élection de Mitterrand, le gouvernement changea officiellement de politique, pour ce qui fut appelé le « tournant » de la rigueur.

La gauche décida alors d’une mesure que la droite n’avait jamais osé prendre : le blocage des salaires et la désindexation. Elle fut « obtenue sans une grève », commenta avec satisfaction le socialiste Jacques Delors. Cela a été un rude coup pour le pouvoir d’achat des travailleurs. 

1983 : première percée électorale du FN

C’est à partir de 1983 que le Front national perça électoralement, précisément quand la gauche portait des coups contre la classe ouvrière. En septembre 1983, aux municipales partielles de Dreux, le FN obtenait 16 % des voix. En juin 1984, le Front national atteignait 11% aux élections européennes, autant que le Parti communiste.

Entre 1982 et 1984, une partie de la classe ouvrière réagissait aux attaques patronales et gouvernementales, et en particulier dans les usines automobiles où les licenciements s’enchaînaient par milliers. Pour isoler les travailleurs en lutte, les politiciens de gauche utilisèrent le fait que beaucoup de ces ouvriers étaient des immigrés. En 1983, le premier ministre de Mitterrand, commentait ainsi une grève à Renault-Flins : « Les immigrés sont agités par des groupes politiques et religieux qui ont peu à voir avec les réalités sociales françaises. »

Ainsi, le thème de l’immigration, sur lequel le Front national avait mené campagne en 1983 et 1984, avait été porté par la gauche elle-même ! La gauche, comme la droite, avait besoin d’un bouc émissaire contre la montée du chômage qu’aucun gouvernement n’avait voulu tenter d’endiguer. Le ministre de l’Intérieur de Mitterrand déclarait alors : « En Italie, on distribue des documents en arabe pour expliquer aux immigrés qu’ils ont intérêt à aller en France (…). Il faut que les immigrés clandestins sachent qu’ils peuvent être expulsés. » 

Ces coups portés contre les travailleurs immigrés, par la gauche elle-même, avaient pour but de tenter de diviser l’ensemble des travailleurs, pour permettre au gouvernement et au patronat, de pouvoir poursuivre leurs attaques contre la classe ouvrière.

La droite n’eut qu’à faire de la surenchère sur le thème de l’immigration et de l’insécurité. Et ces campagnes abjectes, c’est l’extrême droite qui en a finalement profité. Ainsi le racisme et la xénophobie trouvèrent une expression politique en France alors que la gauche était au pouvoir. 

La gauche se sert du FN pour gagner les élections

Menant une politique anti-ouvrière, donc contre leur propre électorat, les politiciens du PS utilisèrent les percées électorales du FN comme moyen de remobiliser leurs électeurs et militants déboussolés. Le FN devint l’épouvantail indispensable des socialistes, « On a tout intérêt à pousser le FN » explique en Juin 1984 le ministre socialiste des affaires sociales, Bérégovoy. « Il rend la droite inéligible. Plus il sera fort, plus on sera imbattable. C’est la chance historique des socialistes ».

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Face à la montée du FN une réaction anti-raciste saine existait parmi la population, mais les organisations anti-racistes les limitèrent à de bons sentiments, en taisant la responsabilité de la gauche au gouvernement dans la montée du Front national. 

Les conséquences de la trahison de la gauche

Les gouvernements de gauche suivants poursuivirent la même politique anti-ouvrière et le chômage monta inexorablement. En 1986, 2,5 millions de travailleurs étaient au chômage : 1 million de plus qu’en 1981.

Ces années furent aussi celles de la mise en place du marché unique européen, au service des capitalistes, plébiscitée autant par la droite que par les socialistes. Cette unité de point de vue, permit au FN d’apparaître comme l’opposant principal à leur politique. 

Le Pen dénonçait désormais « une Europe mondialiste et tiers-mondiste », pour tenter de répondre, sans dénoncer les capitalistes, au ressentiment croissant des classes populaires touchées par l’exacerbation de la concurrence internationale.

Le positionnement du FN comme opposant aux partis de gauche et de droite, s’opéra d’autant plus facilement que la politique des gouvernements de gauche, et notamment du PCF, avait imposé l’idée que seules les élections pouvaient changer la vie des travailleurs. Le PS, le PCF et les syndicats supprimèrent toute idée de lutte de classe au profit des seuls affrontements électoraux. Les passages de la gauche au gouvernement ont été, pour beaucoup de travailleurs et de militants, la démonstration qu’il n’y avait pas d’autre politique possible que de s’incliner devant les lois du marché capitaliste et que la classe ouvrière n’avait plus d’intérêts propres à défendre ou plus les moyens de les défendre.

Cette perte de repères de classe, cette absence d’espoir en une société plus humaine et plus rationnelle, ce manque de confiance dans les capacités de la classe ouvrière ont considérablement contribué à démoraliser les militants du PCF, les militants syndicaux et les travailleurs eux-mêmes. 

Le PCF avait perdu des voix mais, bien plus grave, il a perdu beaucoup de militants, qui manquent cruellement dans les usines et quartiers, laissant le terrain à la montée des préjugés réactionnaires. La CGT, quant à elle, s’est carrément effondrée en quelques années, passant de deux millions d’adhérents avant 1981 à 600.000 dix ans plus tard, et elle ne s’en est pas relevée depuis.

Ainsi le FN pouvait d’autant plus facilement prétendre s’opposer autant à la droite qu’à la gauche, toutes deux de plus en plus détestées. Et cette thèse paraissait encore confirmée quand, en 2002, Le Pen arriva au second tour des élections présidentielles face à Chirac, et que les partis de gauche se mobilisèrent pour faire élire un président de droite.

La montée électorale du FN/RN

Depuis, ce parti d’extrême droite grossit d’élection en élection. Ses thèmes étant repris par les politiciens de droite, comme Sarkozy, mais aussi par les politiciens de gauche, se banalisent. Hollande déclarait en 2016 devant le Parlement : « Nous devons pouvoir déchoir de sa nationalité française un individu condamné pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme, même s’il est né français, je dis bien : même s’il est né français, dès lors qu’il bénéficie d’une autre nationalité. » Le Pen se félicite aussitôt qu’un président socialiste opère cette distinction entre citoyens français en fonction de leur origine : « Le FN a un programme réaliste et sérieux qui est même source d’inspiration pour François Hollande. » 

Et Macron poussa la logique encore plus loin, en menant conjointement une politique anti-ouvrière, et en chassant encore plus ouvertement sur les terres de l’extrême droite : police débridée, manifestations interdites, une loi immigration, une autre contre le « séparatisme », l’emploi des termes « ensauvagement », « décivilisation », « immigrationnisme », …

La gauche d’opposition, incarnée par les Mélenchon, Ruffin, Roussel, … participa tout autant à répandre les thèmes d’extrême droite, en défendant une politique nationaliste, qui cherchait a capter la colère des classes populaires, en dénonçant, non pas la bourgeoisie et le capitalisme, mais l’Union Européenne, le néolibéralisme, la mondialisation…

Ces discours nationalistes de gauche comme de droite, servirent bien l’extrême droite pour dérouler sans effort sa stratégie de mise en concurrence des pauvres, celle de la priorité nationale, où l’argent public qui se raréfie, doit profiter, selon elle, aux Français et pas aux travailleurs étrangers. L’extrême droite poussait ainsi jusqu’au bout les raisonnements des partis traditionnels.

Lutter contre l’extrême droite, c’est lutter contre le capitalisme !

Les politiciens bourgeois de droite comme de gauche sont responsables de la montée électorale de l’extrême droite. Mais dans le cas des politiciens de gauche, ils sont doublement responsables : d’abord parce que c’est leur politique qui a conduit à démoraliser et à déboussoler la classe ouvrière, et ensuite parce qu’ils ont eux-mêmes directement contribué à diffuser le poison du racisme, de la xénophobie et de la division parmi les travailleurs !

Faire reculer l’extrême droite nécessite que les travailleurs renouent avec les luttes du mouvement ouvrier, avec la conviction que les travailleurs ont la force de changer la société, que par leurs luttes ils peuvent opposer aux lois du marché capitaliste, à la concurrence, à la recherche du profit, leurs propres intérêts.

Cela, aucun barrage électoral à l’extrême droite n’est en mesure de le faire, au contraire. Ce n’est possible qu’en défendant une politique communiste, internationaliste et révolutionnaire.