La restructuration chez Volkswagen Forest en 2006-2007

Le contexte et les préliminaires

Profits et ventes à la hausse

Pour VW ce n’était pas la crise. Pour les six premiers mois de 2006, le bénéfice net de 1,2 milliards d’euros est presque le triple de celui du premier semestre 2005. Les ventes aussi augmentent. C’était la période où VW rachetait d’autres marques.

Ils mentent comme ils respirent : des semaines d’annonces contradictoires

Fin septembre 2005, le Conseil de direction de VW déclarait ne pas vouloir fermer d’usines en Europe, notamment son site de Forest.

Fin décembre 2005, VW signe même une CCT (Convention Collective de Travail) sensée garantir 5 600 emplois jusqu’en août 2006. Cependant la production de l’A3 est abandonnée (à côté de la Golf). Seule une baisse de production est annoncée, passant de 230.000 à 200.000 voitures.

Mais mi-avril 2006, un article du magazine allemand Focus évoque la fermeture de l’usine de Forest. VW prépare son plus important plan social de son histoire : allongement temps de travail, suppression de 20.000 emplois et transfert du site de Forest vers l’Allemagne. L’information est démentie par la direction de Bruxelles, puis celle d’Allemagne.

Mi-mai 2006 la direction annonce que Bruxelles fabriquera la Polo (15 à 20.000 voitures) dès septembre. C’est bien sûr un soulagement à Forest… mais c’est en fait au détriment du site d’Espagne !

Attaques en Allemagne

Début septembre 2006 : Négociations en cours chez Volkswagen en Allemagne. La direction veut revenir de la semaine de 28,8 heures à 35 heures (en 1994, pour sauver 30.000 emplois, ils étaient passés de 35h à 28,8 heures en moyenne, bcp de flexibilité, et avec perte de salaire). On parle de 20.000 suppressions d’emplois en 3 ans en Allemagne (sur 100.000). Un emploi sur 5 !

Le 6 novembre 2006, le journal allemand FAZ annonçait la suppression de 1.000 emplois en Belgique ! Le journal Le Soir cite un délégué : « c’est inconfortable. Vous vous rendez tous les matins au boulot, et, tous les six mois, parfois plus, parfois moins, un journal annonce, au mieux que votre entreprise va licencier, au pire qu’elle va fermer… »

FAZ écrit en réalité : il n’y a pas de chiffres concrets, ils se réuniront le 17 novembre. 

Le vendredi 17 novembre 2006, les autopompes de la police sont stationnées partout dans les rues des alentours de l’usine. Mais le Conseil de surveillance de VW n’annonce qu’un nouveau PDG… et rien sur le sort de l’usine de Bruxelles. Dès ce vendredi, des débrayages ont lieu, parce que les travailleurs veulent savoir. Des travailleurs restent devant la porte, les syndicats n’appellent à rien !

La presse discutait du choix de VW (et du syndicat IG Metall qui siège au Conseil d’administration en Allemagne) de préférer supprimer des emplois ailleurs qu’en Allemagne. L’IG Metall venait d’accepter de passer à 33 heures sans augmentation de salaire. En Belgique, la fermeture de VW-Forest était présentée comme une contrepartie de cette augmentation de temps de travail (en ferme ailleurs, pas en Allemagne). Cette thèse était défendue notamment par un dirigeant de l’aile flamand de la FGTB métalo.

Le lundi 20 novembre, la direction affirmait que l’usine ne fermerait pas. Mais court le bruit de 2.000 suppressions d’emplois !

Mardi 21, un Conseil d’entreprise extraordinaire évoque 3.500 à 4.000 suppressions d’emplois. En fait, seule la Polo resterait, mettant en cause la viabilité de l’usine.

L’annonce et la réaction des travailleurs et des directions syndicales

À l’usine de Forest, les débrayages ont commencé le vendredi 17 novembre, en fin d’après-midi, quand la presse a révélé que la seule annonce de la réunion du Conseil de surveillance de VW en Allemagne concernait le remplacement du PDG. Les salariés de l’usine de Forest ne seront informés de leur sort que le mercredi suivant !

Devant ce mépris et «pour savoir», quelques dizaines d’ouvriers de la ligne de montage ont alors débrayé et entraîné les autres. Les équipes de nuit et du week-end ont suivi et, à chaque changement d’équipe, les travailleurs restaient une heure ou deux devant l’entrée.

Quand, le mardi 21 novembre, les médias et les syndicats ont annoncé la suppression de 3.500 emplois d’ouvriers et de 500 d’employés, c’est un énorme choc. Parmi les quelques centaines de travailleurs présents devant la porte, l’émotion est très forte. Ils avaient consenti tous les sacrifices demandés. Les syndicats avaient accepté la flexibilité… pour sauver l’emploi. La productivité avait été poussée au maximum, les cadences avaient augmenté, alors que la moyenne d’âge est supérieure à 42 ans. Le coût du travail avait été réduit, par l’acceptation d’augmentations inférieures au coût de la vie. Voilà comment les travailleurs étaient remerciés…

Spontanément, des centaines d’ouvriers ont «pris possession de l’usine». Mais sous prétexte de quelques dégradations dans la cantine, qui n’étaient pas le fait des travailleurs à l’initiative de cette action, les responsables syndicaux ont fait fermer toutes les portes et organisé un filtrage à la grille principale, au point que pratiquement plus personne ne pouvait pénétrer et ne devait pas dépasser le périmètre de l’entrée. Et les dirigeants syndicaux CSC (syndicat chrétien) comme FGTB (socialiste) ne prévoyaient une assemblée générale que pour le lendemain matin.

Plus de 3.000 travailleurs ont fait le déplacement ce jour-là, beaucoup attendaient que les syndicats proposent des actions. Mais du haut du premier étage du parking, les dirigeants syndicaux se sont contentés de promettre de négocier des primes de licenciement et le maintien du maximum d’emplois à Forest, sans proposer la moindre action et en appelant les travailleurs à rentrer chez eux et à écouter les médias pour avoir des nouvelles…

Dans les syndicats, c’est le choc aussi parce que le délégué principal de la FGTB, Jan Van der Poorten, n’a parlé que des primes, et pas des emplois et de l’usine. 

Ils ont été hués par une forte minorité des travailleurs présents. Mais, sans autre perspective, beaucoup sont repartis. D’autres restaient et, à 300 environ, ils sont partis en manifestation à travers la commune.

Les autorités ont finalement retiré les forces de police qu’elles avaient mises en place à proximité de l’usine depuis le 16 novembre.

Malgré le refus des syndicats d’appeler les travailleurs à réagir, malgré l’absence d’organisation, de 50 à 200 ouvriers se sont retrouvés en permanence devant l’entreprise, à leurs heures de travail habituelles. 

Cela faisait quelques 500 travailleurs mobilisés

Comme la direction de l’entreprise ne sent pas un grand rapport de force face à elle, elle impose son rythme et dit qu’elle ne veut faire part des conditions précises des départs que le 15 décembre et annonce qu’elle ne paierait les salaires que jusqu’au mardi 28 novembre. Des négociations doivent commencer à partir de ce jour-là, mais la plupart des travailleurs présents sentent bien qu’il faudra tenir et faire sentir leurs exigences à VW, ce qui ne sera pas possible sans actions.

Vendredi 24, des délégués et militants de base commencent à prendre quelques initiatives, avec des hésitations, car ils sont liés à l’appareil syndical et ne veulent pas prendre d’initiatives « franc tireur ». 

A cette occasion, une manifestation d’une centaine de militants syndicaux et de travailleurs rend visite au concessionnaire VW d’Anderlecht, où ils déposent la carcasse d’une Polo. Ensuite, quelque 150 travailleurs se rendent devant Faurecia, l’un des sous-traitants à proximité, où l’occupation est organisée. Des visites chez les autres constructeurs automobiles -Ford à Genk, Opel à Anvers, Volvo à Gand- étaient programmées dans la semaine, pour inviter les travailleurs à apporter leur solidarité à ceux de VW et venir à la manifestation de Bruxelles prévue le 2 décembre, appelée par les syndicats belges et l’IGMetall allemand. Mais il n’y eut pas de contact et d’échange entre les travailleurs. Les sous-traitants se sont également mobilisés dès ce moment, mais tout au long, ce sera Audi de son côté, eux du leur, de l’autre côté de la rue.

Autour du feu qui brûle en permanence devant la porte de l’entreprise, les discussions n’arrêtent pas. Les travailleurs râlent sur les syndicats, mais il n’y a rien d’autre d’organisé.

La manifestation du 2 décembre 2006 et sa préparation

Les syndicats sont en contact avec des délégations des autres usines d’automobile et aussi avec l’IG Metall. Ils préparent une grande « marche de solidarité » pour le 2 décembre… sans y associer les travailleurs. Des délégations se rendent chez Volvo, Opel, Ford…

Le 1er décembre, on apprend qu’Audi pourrait venir à Forest. Le délégué principal allemand Osterloh annonce à cette occasion : 

«Il pourrait s’agir d’une Audi mais rien n’est décidé. Il faudra examiner si, du point de vue économique, c’est faisable. Avec quel volume et quel nombre de travailleurs.» «Le tout est de savoir avec quelle rentabilité une Audi peut être assemblée à Bruxelles. En Allemagne, nous avons réduit nos coûts de 20%. Il faut voir ici avec les syndicats belges quelle peut être l’ampleur de cette réduction de coûts: 15, 20%...» Un vrai langage patronal !

Et l’internationalisme, ce n’est plus : « aucun sacrifice, pour personne », mais « tout le monde doit en faire ! »

Cela n’empêche pas le responsable bruxellois de la FGTB-Metal (Castro) de se réjouir : «Grâce à IGMetall, on pourra peut-être éviter la catastrophe sociale annoncée. Si ses engagements se concrétisent, on garderait 3.200 emplois à l’usine de Forest. Sur 2.200 pertes d’emplois, de 700 à 1.000 pourraient être épongées par des prépensions, selon l’âge de départ retenu. On fera appel aux départs volontaires, avec prime à la clé.» Là c’est le langage de la soumission aux plans patronaux : accepter les sacrifices, en les réduisant un peu…

Après une semaine de suspense savamment entretenu, la direction du groupe VW a confirmé qu’un petit modèle d’Audi pourrait être produit à Bruxelles en 2009, avec 3.000 emplois. Cette annonce, à la veille de la manifestation du samedi 2 décembre à Bruxelles contre les suppressions d’emplois, a peut-être contribué à ce que les manifestants ne soient que 20.000 environ, au lieu du double ou triple d’autres fois. 

Cependant, à ces 20.000 manifestants, il aurait été possible de proposer un plan de lutte contre les licenciements et les dégradations des conditions de travail qui suivent pour ceux qui gardent un emploi. 

Au contraire, à la manifestation, les dirigeants syndicaux expriment leur soulagement sur la reprise par Audi d’un partie seulement des travailleurs de VW !

Le nombre d’ouvriers devant l’usine diminue, mais il y en a toujours 100 à 200 en permanence.

Négociations : faute de mobilisation, la direction dicte ses conditions

Lundi 4 décembre, les négociations n’apportent rien concernant le sort réservé aux salariés en 2007 et 2008, avant l’éventuelle arrivée d’Audi en 2009 ! De plus la direction a précisé qu’elle conditionnait l’arrivée d’Audi à une réduction de 20% des coûts salariaux, dont le passage de 35 à 38 heures hebdomadaires en 2009. C’était exactement ce qu’elle voulait dès le départ. Et elle prévoyait que beaucoup d’ouvriers pourraient être en 2009, non des salariés directs de VW mais des ouvriers en sous-traitance payés très en dessous des 1500 euros net à l’époque, et en plus flexibles ! Le sous-traitant Autovision va se développer, puis deviendra Weerts, puis Imperial…

Et pour bien faire comprendre que la grève doit se terminer rapidement, la direction annonce que les 5.400 salariés ne seront plus payés par VW à partir du 4 décembre 2006. 

Le premier ministre VLD de l’époque, Guy Verhofstadt, déclarait : «Volkswagen sera un tremplin pour rendre notre économie plus compétitive». Oui, les pressions à la productivité imposée à Volkswagen, se verra ensuite imposée à l’ensemble des travailleurs.

Les représentants syndicaux sont soulagés que l’usine ne ferme pas complètement, alors que des centaines de travailleurs seront laissés sur le carreau.

Les primes

Leur soulagement augmente avec l’annonce le 11 décembre 2006 de primes accordées par VW qu’ils peuvent défendre auprès de leur base. 

La direction proposait entre 25.000 et 144.000 euros brut de primes. Des primes « historiques » dira le délégué principal Jan Van der Poorten qui invite les travailleurs à les accepter. Un registre sera ouvert pour ceux qui veulent partir, mais il faudra se décider vite ! Or, par exemple à ce moment, il n’est absolument pas clair, de incidence qu’elles auront sur le droit au chômage. 

Dans la presse, avec ces primes soi-disant « historiques », les travailleurs de VW sont présentés comme des « privilégiés » et non plus comme des ouvriers licenciés méritant la solidarité.

Et pour l’inscription sur le registre de départ « volontaire », chaque travailleur est seul à faire ses comptes : partir avec une prime et risquer de ne plus retrouver du travail ? Ou rester ?

En plus, le fait de s’inscrire ne garantissait pas de pouvoir partir avec la prime, car VW pouvait refuser le départ de travailleurs qu’ils jugeaient indispensables pour l’usine. (ce qu’ils n’ont finalement pas fait).

Ces primes étaient censé s’adresser à 1.500 travailleurs, surtout les plus anciens. Près de 1.700 se s’inscriront, et non pas les plus anciens, mais ceux qui se sentaient capables de retrouver du travail, qui ne se sentaient pas encore cassés.

Est-ce que ces primes étaient si importantes ?

En fait, après la taxation, il n’en restera que 55%. Des 144.000 euros pour les plus élevées, il n’en restera plus que 79.000, c’est-à-dire près de 2 salaires mensuels par année d’ancienneté. C’était à peine plus que ce qui la loi prévoyait pour les employés (1à 1,5 salaires mensuels par année d’ancienneté).

Et 79.000 euros, c’est vite parti, quand il faut en vivre, même en recevant l’allocation de chômage dès le licenciement, même avec la prime, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. 

Par contre, les travailleurs devaient participer à des cellules de reconversion, ce qui est toujours le cas aujourd’hui. C’était un beau contrat donné à la firme Daoust, avec des séances où les travailleurs devaient se faire expliquer à 45 ans comment écrire un CV et que pour un interview d’embauche il faut mettre une chemise propre, le tout pour un emploi qui n’existait pas ou qui serait bien plus mal payé que celui perdu. C’était une véritable humiliation…

Les prépensions

En même temps, était discuté l’âge de la prépension. Est-ce que les travailleurs de 50 ans peuvent partir ? Et à quelles conditions ? 

Le 20 décembre 2006, il y a un préaccord. Au départ, on parle d’un maintien du salaire à 100% jusqu’à la pension.

En 2005, le PS et la coalition gouvernementale avaient décidé un « pacte des générations » qui prévoyait notamment que les prépensionnés (qu’on appellerait désormais « chômeurs avec complément d’entreprise ») devaient rester « disponibles pour le marché du travail », c’est-à-dire qu’ils étaient soumis à l’obligation de rechercher un emploi. 

Mais l’âge pour partir à la prépension venait d’être relevé. Et dès le 21 décembre 2006, Verhofstadt (VLD) et Onkelinkx (PS) s’opposent au départ à 50 ans et au 100% de salaire… qui torpille leur réforme ! Parce qu’« avec 100% du salaire, les travailleurs ne chercheront pas de travail » avancent-ils ! Dès le 22 décembre, il n’est plus question que de 80% du salaire, puis ce sera 90%. En fait, les premiers concernés n’ont jamais les informations précises.

La direction essaye de faire reprendre le travail

Dès l’annonce des primes, la direction est d’avis que c’est bon, que dès le 18 décembre le travail doit reprendre. Pourtant rien n’est réglé, donc le travail ne reprend pas ! Cependant le nombre de travailleurs devant l’usine diminue.

Il reste aussi la question de la période avant 2009, avant la reprise par Audi d’une fraction du personnel. 

Les travailleurs restent devant l’usine, autour du feu. Tout le monde attend. Et il ne se passe rien. La rue est fermée à la circulation des deux côtés. Les travailleurs sont là comme des oubliés du monde ! Les syndicats ne proposent rien, passent de temps en temps, mais n’ont pas d’infos à donner, finalement ils sont de moins en moins présents. 

Autour du feu, la discussion se limite de plus en plus à « regarde, on est si peu nombreux, les autres, où sont-ils, ils n’ont qu’à se bouger aussi… ». Voire : « moi, je ne le fait plus. Désormais, je ne penserai plus qu’à moi-même ». Faute de perspective, la démoralisation s’installe.

Jan Van der Poorten dit dans la presse – et donc aux patrons – qu’il pense qu’une reprise de travail, au moins symbolique, sera possible avant la fin de l’année.

En faisant reprendre les techniciens, puis les équipes de nettoyage…

Le 20 décembre, est évoquée que la production des Golfs et Polos serait mainte jusqu’en 2009 et l’arrivée d’Audi. En échange, le gouvernement promet aux actionnaires des réductions de cotisations sociales, et des cadeaux fiscaux.

Le référendum sur la « poursuite du mouvement »

Sept semaines après l’annonce de la suppression de 4.000 emplois dans l’usine de Bruxelles, les travailleurs qui ne sont ni prépensionnés, ni partis avec une prime, vont revenir à l’usine, le lundi 8 janvier 2007.

Vendredi 5 janvier, maintenant que la combativité est bien retombé, les directions syndicales organisent un référendum pour ou contre la « continuation du mouvement ». 2.000 des 4.800 ouvriers de l’usine ont voté. Les 1.900 ouvriers qui ont signé pour un départ volontaire avec une prime étaient exclus du vote, de même que les prépensionnés. 46% se sont malgré tout prononcés pour la poursuite du mouvement (donc plus de 900 !). Mais selon la « loi » des bureaucrates syndicaux, il faut atteindre 66% pour faire grève. 

À l’assemblée générale le matin du référendum, les dirigeants des trois syndicats (de nouveau du haut du 2ème étage du parking) défendent leur protocole d’accord avec la direction, qui est froidement accueilli par les 2.000 travailleurs assemblés et hué par la forte minorité qui avait participé au maintien d’une présence devant l’entrée de l’usine pendant sept semaines. 

À la fin de l’assemblée, la déléguée FGTB Sandra Goret, connue comme une déléguée combative, soutenue par les dirigeants de l’appareil bruxellois de la centrale des métallos FGTB et aussi par de nombreux travailleurs, prend la parole pour dénoncer le flou et l’insuffisance de l’accord et l’appel à voter contre la reprise. Elle dit : « s’ils ont eu cette somme-là, on aurait pu avoir le double, si on n’avait pas accepté directement. » Son intervention, une critique ouverte de Jan Van der Poorten, est fortement applaudie. 

Mais seuls les travailleurs francophones ont pu suivre son discours prononcé uniquement en français, et non traduit en néerlandais comme cela se pratique habituellement. Cela a été exploité immédiatement par un délégué du syndicat libéral : d’après lui, on avait encore une fois manqué de respect envers les Flamands (60% des effectifs) ! Mais il s’est bien gardé d’y remédier en traduisant cette intervention, c’était donc moins la langue que les critiques qui l’importunaient.

À l’annonce des résultats du vote vers 18 heures, 150 ouvriers sont encore présents devant l’usine, pratiquement tous FGTB et francophones. Beaucoup espèrent quand même repartir en grève à la première occasion.

Rien n’est réglé. Ni pour les 2.200 travailleurs restants, qui ne savent pas quelles seront leurs conditions de travail et de salaire dans les années à venir. Ni pour les 900 prépensionnables, qui pourraient perdre 20% de leur salaire et devraient se plier à tout travail « acceptable » qui leur serait proposé, sous peine de perdre leur prépension. Les travailleurs de VW seront ainsi les premières victimes de cette mesure du « pacte des générations » imposé fin 2005 par le gouvernement.

Quant aux 1.900 ouvriers ayant signé leur « départ volontaire » avec prime, près de 200 d’entre eux ont déjà demandé de revenir sur ce choix fait dans la panique organisée par la direction. Beaucoup se sont présentés le lundi matin à l’entreprise, car ils n’avaient aucun engagement de la direction concernant leur prime. Ils ne sont même pas certains que VW les laissera tous partir… Alors, ne pas se présenter au travail, cela pourrait être pris comme un refus de travail et justifier un licenciement ? 

Enfin, il y a les travailleurs de la sous-traitance, qui n’ont eu ni prime ni rien et qui s’attendent à de nombreux licenciements. Certains, comme ceux de Faurecia, n’ont pas repris le travail lundi 8 janvier. Ils resteront mobilisés un mois supplémentaire pour avoir des indemnités pour les uns et d’avoir une solution d’emploi pour les autres. Les travailleurs de la sous-traitance (Mercator, Forécia, Johnson Control…)  qui seront repris par Autovision, voient leurs salaires diminués drastiquement.

Les primes, c’est politique

Le 12 février 2007, il y a un accord entre les syndicats et la direction concernant les primes pour les employés, jusqu’à 196.000 euros.

Le lendemain, la FEB s’inquiète publiquement de ces primes « historiquement hautes » qui constituent une « évolution inquiétante » qui peut « s’avérer négative pour de prochaines restructurations opérées ailleurs » et qui pourrait repousser des investisseurs étrangers potentiels et qui veulent licencier bon marché.

Le référendum final

Le 28 février 2007, il y aura des débrayages suite à la communication de la « déclaration d’intention » que les syndicats s’apprêtent à signer avec la direction.

Au menu : passage de 35h à 38h pour le même salaire, suppression du paiement de la pause de 20 minutes ; possibilité pour la direction de placer une partie des RTT là où elle veut ; 6 ans d’ancienneté au lieu de 4 pour obtenir un jour de congé de plus ; fusion en une seule prime de la prime d’ancienneté et de la prime d’équipe dont le montant variera en fonction de critères comme la productivité, le respect des coûts et l’absentéisme. « La plus grande crainte des travailleurs, c’est de perdre de l’argent en net par mois », résume Hedwin de Clercq, délégué FGTB. « mais a-t-on le choix » ? (Le Soir)

Le délégué libéral (et pas que lui) essaye de faire reprendre en se faisant porte-parole du chantage de la direction : c’est à prendre ou à laisser. Mais si on n’accepte pas, ils fermeront l’usine.

Et encore une fois c’est la direction qui impose son timing : c’est aujourd’hui qu’il faut signer. Demain, ça sera trop tard ! Ça sera demain quand même, car les travailleurs « refusent de prendre le chemin des lignes d’assemblage. Plus tard, ils sont allés protester devant les fenêtres de la salle où se tenait le conseil d’entreprise. Ils ont dénoncé le manque d’informations sur le contenu du plan et ont reproché à leurs représentants de ne pas les consulter. Les assemblées générales d’information se sont succédé toute la journée. L’équipe de l’après-midi n’a pas non plus repris le travail. Les ouvriers ont finalement obtenu gain de cause et l’organisation d’un référendum a été acquise. » (Le Soir)

Face aux résistances des travailleurs, les responsables syndicaux qui se font huer et invectiver, décident finalement d’avoir recours à un référendum. C’est en fait une revendication de la « gauche » syndicale autour de Sandra Goret. Mais loin d’être démocratique, c’est une façon de faire porter le chapeau aux travailleurs qui devront voter avec un révolver sur la tempe.

Le choix lors du référendum qui a lieu le lendemain, est de voter « OUI à un avenir avec Audi » et une exploitation accrue, ou « NON à un avenir avec Audi »… et la perspective de la fermeture de l’entreprise ! 

La direction exerçait son chantage et les syndicats s’y soumettaient. De leur côté les médias martelaient : si le référendum ne passe pas, « le groupe allemand ne se sentirait plus lié par sa promesse, renouvelée lundi, de maintenir 2.200 salariés dans l’usine bruxelloise (…). En cas de désaccord avec le personnel, Audi réorienterait la production de cette future petite citadine vers une autre usine européenne, signant l’acte de fermeture pure et simple du plus gros employer industriel de la région bruxelloise. A la veille du référendum, la pression pesant sur les épaules des salariés est « énorme », convenaient lundi soir des représentants syndicaux. » (Le Soir)

Malgré tout 23 % des travailleurs, un peu plus de 500, ont quand même voté NON !

Mais suite à ce référendum, 200 travailleurs de plus choisissaient de partir avec la prime. Notamment toute une partie de la minorité syndicale FGTB, laissant derrière eux un sentiment de défaite et une usine vidée de leurs « grandes gueules », toute une partie de ceux qui avaient tenu le piquet pendant 7 semaines. 

Et après

Lundi 9 mars 2007, le délégué CSC Pascal Van Cauwenberge se félicitait : « Lundi sera un jour historique pour Volkswagen Forest. Bruxelles sera à cette occasion intégré officiellement dans la famille Audi, tout un honneur », l’emploi est garanti jusqu’en 2010… c’est-à-dire pour trois ans !

Et puis les actionnaires ont décidé d’accélérer : « Audi veut prendre le contrôle de l’usine aussi rapidement que possible ». Et il n’y a vraiment aucun problème de continuer à produire des Golfs et des Polos dans la maison Audi qui est en fait la même maison que VW !

On sait maintenant que les actionnaires décident en fonction de leurs seuls intérêts et que les salariés ne sont que des « variables d’ajustement »… tant qu’ils ne se battent pas avec détermination pour imposer de ne pas faire les frais des choix des actionnaires.