La bourgeoisie, le nationalisme et l’extrême droite en Belgique

Exposé de février 2015

Ceux qui ont participé aux piquets de grèves en novembre et décembre passés ont pu voir comment des idées anti-syndicales ou anti-PS peuvent facilement justifier, de la part de patrons, de commerçants, voire de travailleurs inconscients, des comportements violents vis-à-vis de travailleurs qui tentent de se défendre collectivement. Et si une nouvelle aggravation de la crise économique le justifiait aux yeux du patronat, il ne manquera pas, dans ce pays, de forces politiques capables de s’appuyer sur ce type de sentiments, et de leur donner une forme organisée pour les tourner contre les travailleurs.

Ce rôle sera joué par des partis d’extrême droite. Mais l’existence et la force de ceux-ci dépendra de l’évolution de la lutte des classes. L’histoire de la Belgique montre comment la bourgeoisie a suscité et s’est appuyée sur des courants nationalistes et d’extrême droite, mais aussi comment les réactions de la classe ouvrière ont pu s’y opposer.

L’extrême droite et le courant nationaliste en Belgique : un courant divisé par l’histoire du pays.

Il faut faire la distinction entre les mouvements nationalistes et les courants d’extrême droite. Ceux-ci ne coïncident pas, même si l’extrême droite exerce une influence variable dans le courant nationaliste.

Le mouvement flamand

Le plus ancien courant nationaliste en Belgique est celui du mouvement flamand, formé en réaction à l’oppression linguistique et sociale de l’Etat belge francophone sur la population flamande. Née dans une Europe dominée par la France, mise en selle par la révolution française de 1789, la bourgeoisie belge du 19ème siècle était francophone d’Anvers à Verviers.

C’est aussi au début de ce siècle que démarra la révolution industrielle dans nos régions. La généralisation de l’emploi de la machine à vapeur provoqua une concentration des usines et des capitaux à proximité de l’industrie extractive du charbon, le long du sillon houiller de la Meuse et de la Sambre, c’est à dire la Wallonie actuelle. La Flandre, elle, était alors dominée par l’économie rurale, à l’exception de quelques centres de commerce et de manufactures, comme à Malines, Anvers et Gand.

Les structures du nouvel Etat, né en 1830, étaient dominées par la grande bourgeoisie francophone. Celle-ci réservait  les emplois publics aux personnes maîtrisant bien le français (c’était une exigence légale), et l’usage de cette langue était imposé de façon exclusive dans l’administration, la justice, et de fait, dans la direction des grandes entreprises.

Dans ces circonstances, la préoccupation de la bourgeoisie flamande de favoriser le développement économique de la Flandre prit corps à une époque où l’exaspération populaire à l’égard de l’Etat francophone commençait à s’exprimer ouvertement.

Certaines scènes du film « Daens » font parfaitement saisir comment apparaissaient aux travailleurs flamands la coalition des patrons, des parlementaires et des officiers de gendarmerie s’exprimant en français. Mais c’est aussi la petite bourgeoisie flamande qui était mécontente de se voir exclue de tous les emplois publics et, par extension, des professions libérales et de tout emploi où la maîtrise de la langue joue un rôle important.

L’Eglise catholique a été la première force à s’appuyer sur les ressentiments populaires face à cette oppression. Les prêtres y ont trouvé un avantage dans leur lutte contre l’influence socialiste, alors que le Parti ouvrier belge (POB) se refusait à prendre à son compte toute revendication d’égalité linguistique, considérant que « l’apprentissage du français par les travailleurs flamands était un des moyens de leur émancipation ». Aussi, naturellement, les intellectuels scolarisés et formés au sein des réseaux catholiques en Flandre, ont formé un milieu où s’élaboraient les besoins, les aspirations, les perspectives de la petite bourgeoisie et de la bourgeoisie néerlandophones (même si l’enseignement était en français).

En 1908, au sein de ce milieu, le Vlaams Handelsverbond, la ligue pour le commerce flamand était fondé. Il s’agissait d’une association d’intellectuels, de savants, tels Lodewijk de Raet et d’industriels comme Leo Meert, qui liaient le développement économique de la Flandre à la promotion du néerlandais dans la vie économique, culturelle et sociale. L’histoire personnelle de Lieven Gevaert permet de saisir l’importance que les patrons flamands ont accordé à l’existence d’un enseignement technique et supérieur en néerlandais. Le fondateur du groupe international Agfa-Gevaert n’avait en effet pas pu poursuivre ses études au-delà de l’école secondaire inférieure. Jeune homme, travaillant dans l’atelier photographique de sa mère, il a dû étudier lui-même le français, l’anglais, l’allemand, pour pouvoir assimiler les traités de chimie afin d’améliorer les produits de développement photographique à l’origine du succès du commerce familial. Plus généralement, c’était une expérience largement partagée que l’amélioration des techniques et de l’organisation de la production dans l’industrie comme dans l’agriculture requérait des ingénieurs et des techniciens qualifiés capables de se faire comprendre des travailleurs.

Mais à coté de cet aspect technique, il en est un autre, plus directement lié à la compétition capitaliste. En effet, celle-ci suscite constamment la formation d’alliances, de réseaux de pouvoirs, de cercles qui déterminent l’accès aux marchés, aux contrats, aux subsides publics, au crédit bancaire… Dans les salons feutrés de la bourgeoisie se déroulent de 9 heures à 20 heures des luttes pour de solides enjeux, des négociations où la confiance se construit, ou ne se construit pas. La maîtrise de la langue, dans toute sa finesse, y est naturellement un atout fondamental. « Un commerce flamand », « l’usage du néerlandais dans la vie de l’entreprise et dans les contrats », « une épargne flamande entre les mains flamandes », tels étaient les mots d’ordre, les têtes de chapitres des articles, manifestes, textes fondateurs des associations qui, comme le Handelsverbond, s’efforçaient d’exprimer les besoins de la bourgeoisie flamande exclue du festin de la grande bourgeoisie francophone.

Résumant et focalisant ces objectifs, la revendication de l’organisation d’un enseignement technique et universitaire en néerlandais était le point le plus largement partagé par de larges cercles de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie flamandes.

La guerre et son influence dans la formation du mouvement flamand

Lors de la guerre 1914-1918, l’impérialisme allemand, qui avait des vues sur le Congo comme sur l’industrie belge, s’est efforcé de préparer la disparition de la Belgique et son remplacement par deux régions sous son influence : la Flandre et la Wallonie.

En Flandre, l’autorité allemande a développé une flamenpolitik, qui donnait satisfaction à un certain nombre de revendications du mouvement flamand. Le néerlandais a été adopté par l’administration dans les communes et les provinces de Flandre. Dès 1916 est fondée la première université néerlandophone, à Gand. Dans la Belgique occupée, le mouvement flamand se divise entre activistes et passifs selon le choix de militer ou non pour satisfaire des revendications en s’adressant aux autorités allemandes. Avec le soutien de celles-ci, les activistes, emmenés par des hommes issus du Handelsverbond, tels August Borms et Leo Meert, ont fondé un « Raad van Vlanderen » (« Conseil des Flandres ») qui proclama, en 1917, « l’autonomie de la Flandre ».

D’un autre côté, les autorités d’occupation se sont aussi efforcées de s’appuyer sur un nationalisme wallon pour arriver aux mêmes fins : la division de la Belgique. Le gouverneur général Von Bissing, considérait même le contrôle d’une « Wallonie indépendante » par l’Allemagne comme plus facile car, comme il l’écrivait au Kaiser : « La population wallonne est plus facile à manier et à diriger que la flamande. Les Flamands sont naturellement plus lourds et plus enclins à la résistance. Les Wallons sont plus légers et, s’ils gagnent beaucoup, s’ils ont quelques avantages sociaux, s’ils peuvent jouir de la vie, ils sont faciles à gouverner. »

Sur le front, les régiments belges enterrés derrière l’Yser étaient néerlandophones à 80%. Aux conditions de vie, à l’horreur des combats, s’ajoutaient pour ces soldats l’arrogance des officiers majoritairement francophones. Les journaux, la propagande officielle suscitaient un profond dégoût parmi eux, notamment par leur mépris des sentiments flamands envers l’oppression linguistique. Un article proclamait notamment « La Belgique d’après-guerre sera latine ou ne sera pas ».

Un mouvement a pris forme parmi les soldats, porté par quelques intellectuels qui éditaient, en flamand, un journal clandestin vite apprécié par les soldats flamands. La répression qu’ils ont subie de la part de l’état-major acheva de les rendre populaires : c’est la naissance du « frontbeweging », le mouvement du front. Parmi ses principaux initiateurs, il faut retenir Hendrik Borginon, Cyriel Verschaeve et Joris Van Severen, qui ont joué un rôle important dans l’évolution du mouvement.

Au lendemain de la guerre, toutes les concessions accordées aux revendications flamandes ont été annulées. Les leaders activistes ont été poursuivis et condamnés par la justice pour « collaboration ». Leo Meert se réfugia en Allemagne, le Handelverbond disparu, et durant plusieurs années, le patronat flamand ne parviendra plus à s’exprimer à travers une organisation représentative.

Naissance et évolution du Frontpartij

Les reculs sur les droits des néerlandophones et la répression du mouvement flamand, ont poussé à la création d’un parti, le Frontpartij, regroupant des fondateurs du frontbeweging et des activistes. Durant ses premières années, de 1919 à 1923, le Frontpartij a été entraîné vers des idées anticapitalistes, sous l’influence de la révolution russe. C’était alors une période de conscientisation et de mobilisation intense parmi les travailleurs. Ils affluaient en masse vers les organisations syndicales pour défendre la journée des 8 heures, les augmentations de salaires, les droits sociaux et syndicaux, concédés par le gouvernement belge en 1918 au moment où des « Räte », des « Conseils de soldats » allemands se formaient à Bruxelles, sous l’influence de la révolution allemande.

Le Frontpartij, comme beaucoup d’autres organisations, a subi cette influence et a tenté de s’adresser aux travailleurs flamands à travers un discours teinté d’idées de lutte de classes. A l’Etat belge, qui participait à l’occupation de la Ruhr allemande aux côtés de l’impérialisme français (1922-23), le Frontpartij a opposé une position antimilitariste. Le jeune Parti communiste belge conclut des alliances électorales avec le Frontpartij, et le PC y gagna au communisme des militants de valeur.

Mais après la disparition de la situation révolutionnaire en Allemagne, fin 1923, le climat politique changea rapidement dans toute l’Europe. La bourgeoisie releva la tête et partit à l’offensive, non seulement dans les entreprises, mais sur le terrain idéologique.

En Belgique, la presse, les partis bourgeois et surtout l’église catholique suscitaient un climat d’hystérie anti-communiste. Dans ce contexte, une lutte politique se déroula au sein du Frontpartij, où des intellectuels catholiques, comme Cyriel Verschaeve, des anciens officiers comme Joris van Severen, Hendrik Borginon, des hommes proches des organisations patronales flamandes, vont s’efforcer d’éliminer les tendances lutte de classe au sein de ce parti, pour le tirer vers des positions plus droitières et nationalistes. En 1928, le comité organisateur du pèlerinage de l’Yzer, de tendance pacifiste et internationaliste, est écarté pour imposer une ligne nationaliste-flamande.

Cependant, durant les années 1920 et 1930, l’influence du mouvement flamand s’est étendu bien au-delà du Frontpartij, dans toutes les familles politiques. Des dirigeants socialistes flamands, comme Camille Huysman ou Lode Craeybeckx ont repris ses revendications.

Sous la pression de ce mouvement et de l’impact du suffrage universel, obtenu en 1918, toutes les lois qui limitaient l’usage du néerlandais dans la vie administrative, la justice, l’enseignement, etc. sont abrogées les unes après les autres dans le courant des années 1930. Et ce, malgré la résistance des députés wallons, qui votaient systématiquement contre cette évolution, mais qui étaient devenus minoritaires.

C’est aussi vers cette époque, et en partie grâce aux libertés linguistiques conquises, que s’est développée et s’est organisée une nouvelle bourgeoisie flamande.

Naissance du Vlaams Economisch Verbond (VEV) 1920 – 1940

Pour les milieux patronaux flamands, la guerre et les années d’après-guerre ont été des années d’apprentissage politique. Les reculs, la répression, la perte d’influence engendrés par la politique de l’activisme, inspirée en partie par le Handelsverbond, ont constitué une expérience rude mais formatrice.

La reconstitution d’une organisation patronale flamande s’est donc faite autour des personnalités qui s’étaient tenues à l’écart de l’activisme. En 1926, l’industriel Lieven Gevaert que nous avons déjà rencontré, est choisi par ses pairs pour assumer le rôle de président de cette nouvelle association : le Vlaams Economisch Verbond. Il est intéressant de noter que si le VEV est l’ancêtre du Voka actuel, Gevaert est le grand père de Michel Delbaere, le dirigeant précédent du Voka. Il y a une importante continuité au sein des grandes familles bourgeoises, non seulement en termes de fortune, mais d’influence, et la bourgeoise flamande ne fait pas exception.

Le VEV a été placé d’emblée sous le contrôle des familles flamandes les plus fortunées. La participation aux assemblées délibératives se payait par une cotisation de 150 000 francs, une somme très élevée pour l’époque. Toujours dans une préoccupation de contrôle, des règles d’incompatibilité ont été instituées entre la participation au Conseil d’administration du VEV et un mandat de député ou de ministre, pour éviter l’interférence de la bourgeoise francophone. Le VEV s’est donné comme perspective de structurer le développement d’un capitalisme flamand. Il organisait des groupements par province et par branche d’industrie, mit sur pied un service d’étude pour les besoins des entreprises membres. Il poussa aussi à la création de réseaux bancaires autonomes pour que « l’épargne flamande reste entre des mains flamandes ». Mais sa préoccupation majeure était d’arracher la néerlandisation (vernederlandsing) de la pratique des affaires et en particulier du droit commercial, des contrats, des tribunaux de commerce, etc.

Satisfaire ces revendications ne pouvait être possible que si l’Etat belge acceptait de déterminer quels territoires, quelles communes étaient d’expression néerlandophone. On comprend que cela impliquait pour la bourgeoisie flamande une entreprise assez vaste, où la lutte politique se mêlait au soutien à la culture et à la littérature flamande, à l’enseignement du néerlandais, etc. La bourgeoisie flamande, tendant hardiment ses bras vers l’avenir, les plongeait naturellement au sein du monde académique et des aspirations de la petite bourgeoisie néerlandophone.

Pour les mêmes raisons, ses revendications et son action ne pouvaient que susciter l’hostilité militante de la petite bourgeoisie francophone, omniprésente, archi-dominante dans les partis politiques et les institutions belges.

La crise économiques des années 1930 et la naissance de l’extrême droite

La crise économique des années 1930 amena de rapides et profonds changements dans la situation politique, avec l’apparition, pour la première fois, de courants d’extrême droite structurés et influents. Comme nous allons le voir, ces processus ont évolué de façon différente au nord et au sud du pays.

La misère ne frappait pas que les travailleurs. Des dizaines de milliers de petits bourgeois désespérés, réclamaient des solutions, espérant une intervention en leur faveur de la part d’un pouvoir fort. Leur colère ne se tournait pas contre le capitalisme et la propriété privée, mais uniquement contre les aspects les plus parasitaires de la classe capitaliste : les banques, la finance, que les nazis qualifiaient de juives. Mais leur hostilité se tournait aussi contre « le système », terme confus dans lequel ils englobaient, à côté des banquiers, les politiciens corrompus, « les bonzes syndicaux », et la démocratie parlementaire, « la particratie ». En effet, les vieilles recettes, les arrangements entre les partis bourgeois et le parti ouvrier ne fonctionnaient plus. Les gouvernements, en proie à une instabilité chronique, ne duraient que quelques mois ou quelques semaines et semblaient bien incapables de faire quoi que ce soit face à la crise, en dehors des politiques d’austérité.

Incapable de discerner les causes fondamentales de la crise dans le chaos de l’économie aux mains des capitaliste, la petite bourgeoisie en accusait au contraire la classe ouvrière, mieux organisée qu’elle, et dont le parti, les syndicats, les grèves, lui paraissaient comme une cause de l’instabilité.

De son côté, la classe capitaliste aspirait à mettre fin à sa politique de collaboration avec les organisations ouvrières réformistes. Cette politique lui avait été bien utile au moment de l’Union sacrée durant la première guerre mondiale, puis durant la lutte contre le risque révolutionnaire du début des années ’20. Mais, sous la pression de la crise, de la baisse des profits, les patrons voulaient en revenir à la situation, que nombre d’entre eux avaient d’ailleurs connue, où l’employeur déterminait le salaire et les conditions de travail avec chaque travailleur individuellement. Cela signifiait d’en finir avec les organisations de la classe ouvrière, ses syndicats, ses partis politiques.

Sur ce point, il n’y avait pas de divergence d’opinion entre la grande bourgeoisie capitaliste, francophone, parlant par la voix du CCI, (Comité Central Industriel), et la bourgeoisie flamande en formation, représentée par le VEV.

Le rôle de l’Eglise

L’histoire de la Belgique fait que l’instrument qui allait propager et légitimer ce choix de la classe dirigeante a été l’Eglise catholique. C’était la plus importante force politique organisée du pays. Elle avait réussi à préserver son contrôle sur la majorité des niveaux d’enseignement, et formait intellectuellement une majorité des nouvelles générations, y compris au sein de la bourgeoisie. Dans sa lutte pour défendre ce pouvoir et ses privilèges, elle avait développé des organisations influentes dans toutes les classes et catégories de la société. Surtout, en son sein, s’était maintenu un courant d’idées extrêmement réactionnaires, non seulement hostiles au socialisme, mais même aux droits démocratiques.

Tel était le recul de la société sur le plan matériel et économique que, sur le plan des idées, les théories du clergé catholique, tout droit sorties du 19ème siècle, se trouvaient dans l’air du temps.

En 1929, en Italie, le pape Pie XI signait avec Mussolini les accords du Latran, qui organisaient la collaboration de l’Eglise et de l’Etat fasciste. Le fascisme italien et plus encore le groupe d’extrême droite l’Action française, en France, exerçaient une influence croissante sur l’opinion publique en Belgique, et elle pénétrait en priorité les milieux catholiques petits bourgeois. Un sondage organisé par un journal estudiantin à l’Université catholique de Louvain révélait que pour deux étudiants catholiques sur trois, Charles Maurras, le leader de l’Action française, était la personnalité la plus importante, devançant le Christ.

Rex

Le problème de la hiérarchie catholique était que, à travers son parti et ses nombreuses institutions, elle organisait différentes classes sociales dont les antagonismes allaient croissant. Les politiciens du Parti catholique étaient discrédités, comme tous les autres, par leur corruption, leur soutien aux banques, leur « politique d’austérité » comme on dirait aujourd’hui. La base catholique, c’est-à-dire la petite bourgeoisie, ne se reconnaissait plus dans ses dirigeants, trop ouvertement liés au grand capital.

Pour lutter contre l’érosion de son influence, et opposer une réponse aux critiques socialistes et communistes contre le capitalisme, le clergé a pris le parti de soutenir toute les initiatives de ses organisations, en particulier vers la jeunesse, dans sa presse, « pour parler un langage populaire ». Monseigneur Picard, responsable de l’Association de la jeunesse catholique de Belgique, confia la direction de sa maison d’édition et de son journal, Christus Rex, à un jeune homme entreprenant, tout frais émoulu de l’Université Catholique de Louvain, Léon Degrelle.

Degrelle mit sur pied une organisation, entouré de nombreux jeunes universitaires catholiques qui ne voyaient d’autre espoir pour avoir un avenir dans cette société capitalise en crise que de donner « un grand coup de pied dans la fourmilière ». Piochant dans les idées autoritaires, anti-ouvrières, racistes, anti-juive de l’extrême droite européenne, Degrelle construit un mouvement en s’appuyant sur les milieux, les institutions, les organisations catholiques.

Le clergé lui en ouvrait grand les portes. Le tribun d’extrême droite était appelé partout, dans toutes les organisations, tous les cercles catholiques. Les prêtres le réclamaient pour venir porter la bonne parole à leurs paroissiens.

Un banquier, De Launois, lui acheta 120 000 abonnements de son journal quotidien, « le Pays réel », pour qu’il soit distribué gratuitement dans toute la région liégeoise pendant deux mois.

Mais, avec l’arrivée au pouvoir de Hitler, en janvier 1933, Degrelle crut que la situation était désormais mûre, en Belgique, pour s’emparer du pouvoir par les mêmes méthodes que les fascistes en Italie ou les nazis en Allemagne.

Cherchant à déborder les partis et les instituons parlementaires bourgeoises, Degrelle fonda ouvertement un mouvement politique fasciste. Rex, cherchait à mobiliser et organiser la petite bourgeoisie, y compris à travers des milices.

Dans cette entreprise, Degrelle devait frapper aussi fort sur les « bolcheviks » (sur le POB et le PC) que sur les banquiers et les politiciens. Pour gagner et attirer à l’action la petite bourgeoisie, il n’épargnait pas les dirigeants gouvernementaux, en particulier catholiques.

Malgré les demandes angoissées des dirigeants du Parti catholique, le clergé est resté pendant longtemps dans l’expectative, n’osant pas condamner ouvertement Rex, dont les idées et les hommes étaient si populaires dans son propre milieu.

La classe ouvrière relève la tête…

Mais, à partir du milieu des années 1930, la situation politique changea. La prise du pouvoir par Hitler en Allemagne, en 1933, s’était rapidement suivie d’une interdiction des partis ouvriers et des syndicats. La violence des attaques contre les travailleurs, la suppression de tous les droits démocratiques, les arrestations, l’enfermement des militants dans des camps de travail forcé, tout cela provoqua un grand choc dans les consciences des travailleurs à l’échelle internationale et en Europe en particulier. La classe ouvrière allemande était en effet la plus puissante, la mieux organisée. Mais ses partis, le SPD et le KPD, n’avaient pas réussi à s’unir face au danger nazi.

Alors, lorsque presque un an plus tard, des bandes fascistes ont tenté d’occuper l’assemblée nationale à Paris, il y eut un sursaut des travailleurs. Moins d’une semaine après, les manifestants socialistes et communistes se rejoignaient dans un même cortège contre la volonté de leurs dirigeants. Dans les mois qui ont suivi, les travailleurs imposèrent dans les faits l’unité entre leurs différentes organisations.

En mai 1936, ils votèrent massivement pour les partis ouvriers, ouvrant la voie à un gouvernement de Front populaire. Quelques semaines plus tard, 3 millions de grévistes occupaient les usines principales à travers toute la France pour imposer au patronat le programme du Front populaire.

Cet état d’esprit et la combativité ne se sont pas arrêtées aux frontières. Le 21 juin, il y avait 500 000 grévistes en Belgique. Le port d’Anvers était paralysé. En juillet, les travailleurs espagnols s’opposaient massivement à une tentative de coup d’état de l’armée, prenaient les casernes, les arsenaux. En quelques semaines un véritable pouvoir ouvrier commençait à se mettre en place en Catalogne.

… et la bourgeoisie recule

Face à ces évènements qui ont évolué de façon si rapide, la peur a changé de camp. La grande bourgeoisie décida de reculer face aux travailleurs.

En pleine crise, pour récupérer les usines occupées, le patronat français accorda les congés payés, la semaine de 5 jours, des augmentations de salaires. Les banquiers, les grands industriels exigèrent des organisations de petits patrons qu’elles signent ces accords. Le problème, expliquait le représentant du grand patronat français aux petits patrons qui refusaient « de payer des ouvriers à ne rien faire », « le problème n’est pas économique, il est d’abord politique. Nous devons récupérer nos usines et ramener la stabilité des institutions ».

En Belgique aussi, le grand patronat a fait des concessions : les premiers congés payés (6 jours), la semaine de 40 heures dans certains secteurs…

L’autre aspect de ce recul a été que la grande bourgeoisie diminua voire cessa de soutenir par des aides financières et par son influence les organisations d’extrême droite, y compris en Belgique. C’est le genre de situation qui se crée presque instantanément, en quelques semaines de mobilisation, à l’échelle de plusieurs pays.

Mais les dirigeants de Rex, dont le parti avait beaucoup progressé aux élections nationales du 24 mai 1936 (avant la vague de grève donc) voulurent forcer leur chance. Début 1937, Degrelle fit provoquer une élection partielle à Bruxelles, croyant pouvoir utiliser un nouveau succès pour préparer une marche sur Bruxelles comme Mussolini l’avait fait en Italie en 1922.

Pour la bourgeoise, cette aventure était inacceptable. Elle exerça toute la pression nécessaire pour obliger l’Eglise catholique à rompre avec Rex et s’opposer à lui. Et en effet, le clergé mit tout son poids dans la balance. Le Cardinal Van Roey intervint publiquement, avertissant que le vote pour Degrelle était un péché. La presse catholique, le principal moyen d’information de l’opinion publique, dénonçait « le danger des extrêmes », visant Rex en particulier.

Rex perdit ces élections, mais ce ne fut que le début de ses déboires. Du jour au lendemain, il perdit tous ses soutiens, ses financements, ses locaux. L’accès aux associations catholiques, le vivier où Rex faisait sa propagande et recrutait, lui furent barré par des prêtres soudés autour de leur hiérarchie.

Le parti Rex s’écroula. Il s’était bâti à partir des organisations catholiques, et n’était pas préparé à une rupture si brusque et radicale. Degrelle n’eut pas le temps de reconstruire son parti. En 1939, la guerre éclatait, paralysant la vie politique. En 1940, la Belgique était occupée par les armées d’Hitler.

Les dirigeants de Rex ont bien entendu proposé leurs services aux nazis, qui les ont effectivement utilisés. Mais, pour la population, Rex était désormais associé à l’occupation et à ses souffrances. Ce mouvement n’avait pas gagné politiquement un milieu stable, durable, fidèle. Cet isolement social fit évoluer Rex. A part les cadres, les convaincus de la première heure, il n’attira à lui que le rebut de la société, des malfrats, des psychopathes, qui auront bien des occasions, durant la guerre, de cultiver la peur et la haine qu’ils inspiraient.

La situation politique en Flandre

L’évolution en Flandre a été sensiblement différente. Bien que Rex y a connu un début de développement, c’est surtout le mouvement flamand qui y joua un rôle.

Différentes organisations concurrentes étaient issues du Frontpartij et avaient évolué en organisations d’extrême droite, dont les principales étaient le Vlaams Nationaal Verbond (VNV) et le Verdinaso. Vu de l’extérieur, du point de vue des travailleurs, il n’était pas aisé de distinguer l’une de l’autre. Elles étaient agressivement anti-ouvrières, elles organisaient de milices en uniforme, à la manière des nazis, pour s’attaquer aux grévistes et aux réunions communistes, socialistes ou syndicales. De même, elles reprenaient dans leur presse, leurs meetings, l’idéologie raciste, antisémite nauséabonde d’Hitler. Elles cultivaient le culte du chef, revendiquant un état fort, autoritaire.

Pourtant, elles étaient composées de courants différents. Le Verdinaso, créé par Joris Van Severen, était contre la participation aux élections et revendiquait ouvertement la suppression de la démocratie par la force. Le VNV, lui, était moins homogène. Son dirigeant le plus connu, en tant que député, tribun de meeting et de manifestations, était Staf de Clerq qui faisait son possible pour singer les attitudes et le décorum des dirigeants nazis et fascistes. Il exerçait une fascination sur les petits bourgeois enragés et déboussolés, prêts à en découdre. Autour de Staf de Clerq se groupaient des aventuriers, assoiffés de revanche sociale, de pouvoir, d’honneurs…

Mais à part cette coterie, le VNV comptait aussi des hommes plus expérimentés, instruits par les difficultés passées du mouvement flamand, notamment lors de la première guerre. Surtout, ils étaient bien plus au fait des aspirations et des positions véritables de la bourgeoisie flamande. Ceux-là regardaient avec recul les délires de grandeur d’un Staf de Clerq ou d’un Joris Van Severen qui rêvaient  d’une « grande nation Thioise (Diestland) regroupant tous ceux qui parlent le néerlandais, des Pays-Bas à la « Flandre française » et…jusqu’à l’Afrique du Sud.

Certes, la bourgeoisie flamande était étranglée par la politique protectionniste des grandes puissances européennes, et au sein du VEV se déroulaient des débats autour d’un projet d’union douanière avec la Hollande. Mais, pour autant, la bourgeoise flamande n’avait évidemment pas les moyens de s’engager dans une politique de conquêtes territoriales contre des voisins plus puissants et de plus, elle était déjà bien trop dépendante des marchés internationaux, des exportations, pour se contenter d’un petit marché « néerlandophone ».

L’évolution du VNV de De Clerq et du Verdinaso en partis fascistes les rendaient trop incontrôlables, et la bourgeoisie flamande cessa de les soutenir financièrement. En fait, ces partis devenaient des instruments de l’impérialisme allemand, qui commença du reste à les financer directement à partir de 1937.

Cela n’a pas fait disparaître les autres courants nationalistes flamands. Au contraire, ils ont continué à collaborer, à tenter de se regrouper, de s’influencer.

Aux élections de mai 1936, le parti catholique, qui donnait les premiers ministres de tous les gouvernements, subit un tel revers électoral que les grands dirigeants catholiques durent céder aux exigences des nationalistes flamands dans leur parti. L’Union catholique de Belgique se transforma en « Bloc des catholiques » qui regroupait en fait deux partis distincts : le Kristelijke Volks Verbond (KVV, l’ancêtre du CD&V) et le Parti Chrétien Social pour les francophones de l’autre.

Craignant la victoire d’un « Volksfront », d’un front populaire en Belgique et en Flandre, les dirigeants du KVV s’efforcèrent de construire une alliance électorale avec le VNV, autour de dirigeants comme Hendrik Borginon, Raymond Tollenaere, contre l’avis de Staf de Clerq.

Cette alliance se heurta à l’opposition de l’ACV (la CSC), du Boerenbond et de l’Eglise, tout à son combat contre « les extrêmes ». Elle ne se concrétisa pas en accords officiels au niveau de la politique du KVV, mais bien en de nombreuses alliances locales au niveau des communes. Ces péripéties sont révélatrices du fait qu’entre le KVV et les nationalistes flamands du VNV, il n’y avait pas de mur infranchissable, mais une communauté de vues, de positions, gravitant autour du nationalisme flamand et de l’hostilité viscérale à toute forme d’autonomie des travailleurs, à travers des partis ou des syndicats.

Le nazisme et les contradictions de la bourgeoisie

En mai 1940, la Belgique est envahie et se retrouve sous la direction d’un gouvernement militaire allemand. Les nazis reprirent la tactique de flamenpolitik déjà testée durant la première guerre mondiale. Le gouvernement militaire allemand s’appuya sur les partis nationalistes flamands pour trouver des cadres, des responsables acquis à leur cause et pour leur confier des responsabilités dans l’appareil d’état. Des milliers de membres du VNV, du Verdinaso ou d’autres organisations, ont participé de cette manière politiquement à la collaboration avec l’occupant, dans des postes en vue.

Il n’en alla pas de même au sud du pays. Les nazis basaient leur politique impérialiste sur des raisonnements où le racisme jouait un grand rôle, et Hitler ne voulait pas d’un « pouvoir wallon ». Les dirigeants et les cadres de Rex, essentiellement francophones, ne trouvèrent pas d’autres emplois qu’auxiliaires de la Gestapo ou « volontaires » sur le front de l’Est, ce qui était problématique pour celui qui voulait mener une longue carrière politique.

De leur côté, les bourgeoisies francophone et flamande sont passées à travers différentes attitudes vis-à-vis du pouvoir nazi. En 1940, les patrons se réjouissaient, dans toutes les langues, de l’interdiction des partis ouvriers et des syndicats. S’adressant aux patrons, le président du CCI (ancêtre de la FEB), le banquier Gustave Louis Gérard expliquait que « la conjoncture ouvre de nouvelles possibilités au patronat suite à l’évanouissement des syndicats politiques et l’abolition du régime de commissions partiaires ». Par « syndicats politiques », les patrons entendent des syndicats où se manifeste d’une façon ou d’une autre une certaine conscience de classe.

Mais les capitalistes belges allaient être déçu quant aux « nouvelles possibilités de la conjoncture ». Le nazisme n’était que la forme la plus agressive de l’impérialisme allemand, et les contradictions sociales et économiques du capitalisme n’avaient en aucune manière été résolues ou même modérées par sa victoire de 1940. A la place de la stabilité et du retour des profits faciles, les capitalistes belges étaient confrontés au pillage de l’économie et des ressources de la Belgique par l’économie allemande.

C’est pourquoi, tout en essayant de faire des affaires sur les fournitures de guerre à l’armée nazie, les patrons belges, y compris en Flandre, ont évolué vers une attitude réservée vis-à-vis de l’Allemagne, et ont veillé à préserver leur indépendance à travers leurs organisations, leurs réseaux d’influence, leurs partis politiques, même si ceux-ci n’avaient plus d’existence ni d’activité officielles.

A cela s’ajouta les conséquences politiques de la résistance victorieuse de l’Union Soviétique à l’invasion nazie, démarrée en 1941. Dans toute l’Europe, et aussi en Europe du Nord-Ouest, les succès militaires de l’URSS se sont traduits par un regain d’influence des Partis Communistes parmi les travailleurs.

A partir de 1942-1943, les patrons se sont préoccupé d’anticiper sur l’évolution prévisible de la situation : la défaite de l’Allemagne nazie et la menace d’une nouvelle situation révolutionnaire, dans un contexte où il n’allait plus être possible de s’appuyer sur l’extrême droite contre les travailleurs.

La bourgeoisie a dès lors cherché l’alliance des partis ouvriers réformistes, et en Belgique, essentiellement du parti et du syndicat socialiste.

La bourgeoisie s’appuie sur les organisations ouvrières…

En 1944-1945, ça a donc été au PSB et à la FGTB… dirigés par des milieux francophones, de gérer la préservation de la paix sociale tout en faisant accepter aux travailleurs les sacrifices nécessaires à la reconstruction de l’économie capitaliste. Cela n’avait rien de simple. Les travailleurs avaient subi les privations, l’exploitation accrue, la répression. Les capitalistes, les patrons, les riches, s’en étaient mieux sortis et avaient collaboré économiquement avec la machine de guerre nazie.

Les partis de la bourgeoisie, aidés par le PS et la FGTB, durent lancer une opération de contre-feu, en désignant à la colère populaire les sous-fifres des grands capitalistes, les petits patrons, les petits indépendants, qui avaient tenté de s’enrichir comme les autres mais n’avaient pas les mêmes relations pour le faire impunément. Bien sûr les collaborateurs politiques des nazis ont aussi été visés. Les partis francophones ont exploité les circonstances au maximum pour affaiblir le mouvement flamand. Celui-ci constituait un bouc émissaire commode et une menace pour la petite bourgeoise francophone : il allait le payer cher.

… qui masquent leur soutien au capitalisme par la démagogie anti-flamande

450 000 instructions judiciaires furent ouvertes pour fait de collaboration, il y eu 50 000 condamnations, et 242 exécutions. Les historiens belges francophones nient aujourd’hui le caractère anti-flamand de cette politique arguant que les condamnations en Wallonie et à Bruxelles furent aussi nombreuses. Mais dans les faits, cette répression n’a pas eu le même contenu social et politique au Nord et au Sud. En Wallonie, les condamnés étaient surtout des crapules de droit commun, des petits commerçants enrichis sur le marché noir, etc. Alors qu’en Flandre, en plus de ces catégories, tous les membres, les cadres, les dirigeants du mouvement flamand étaient visés, et souvent atteints, par cette politique.

Le renouveau du mouvement flamand

La bourgeoisie flamande ne s’y trompa pas. Elle exerça une contre-pression sur l’opinion publique flamande, à travers la grande presse, l’enseignement, les partis, l’Eglise catholique…Toute l’histoire du mouvement flamand et de la collaboration fut soumise à un examen plein de complaisance, de nuances et de compréhension, où l’on apprenait à distinguer la collaboration, « qui était une erreur », de la motivation des individus, inspirés par « l’idéalisme ». … L’« idéalisme » de ceux qui sont du côté du plus fort pour frapper les populations écrasées par la guerre mondiale ! On n’apprenait pas seulement à distinguer entre les différents partis du mouvement flamand, mais aussi les individus au sein des partis, et même pour chaque individu « les actions positives », « les contributions » (littéraires, politiques) et « les égarements »… à la manière des jésuites qui, du reste, ont formé des générations d’intellectuels flamands.

Tout ceci permet de comprendre pourquoi l’extrême droite flamande, si elle a subi les conséquences de la répression, n’a jamais été isolée, coupée de la société. Par contre, cette répression a eu une conséquence sur sa composition sociale. Sous la pression des syndicats et de partis ouvriers, les emplois dans les services publics (le plus gros employeur du pays) et les grandes entreprises étaient refusés aux « inciviques ». Cela en poussa beaucoup à s’installer à leur propre compte, comme indépendants, entrepreneurs, commerçants… Ainsi se constitua un réseau d’indépendants faisant preuve d’une grande solidarité et qui s’impliquaient dans le financement des groupements nationalistes et d’extrême droite, de la Vlaamse Concentratie dans les années 1950 à la Volksunie dans les années 1960-1970 puis au Vlaams Blok.

Or, à partir des années 1950, ce milieu allait se trouver dans des circonstances favorables à la réalisation de ses perspectives pour des raisons tout à fait indépendantes de ses mérites.

La lutte de la bourgeoisie flamande pour son appareil d’Etat

Au lendemain de la guerre en effet, des changements économiques se sont mis en place à l’échelle internationale. La sidérurgie et l’industrie wallonnes, basées sur l’énergie du charbon, entrèrent en déclin. Une nouvelle industrie, basée sur le pétrole, se développa rapidement. Grâce aux capitaux du plan Marshall, le port d’Anvers et son arrière-pays devient le lieu d’implantation de la pétrochimie, de la sidérurgie maritime, de l’industrie automobile…Une pluie de capitaux étrangers tombèrent sur la Flandre comme de l’engrais sur un semis de jeunes pousses. L’économie et le capitalisme en Flandre connurent un essor rapide, spectaculaire, alors que des universités sortaient des générations de diplômés néerlandophones.

Cette réalité nouvelle impliquait des besoins nouveaux. Les acquis des années 1930, l’embryon de direction politique constituée de fait autour du VEV ne suffisaient plus. La bourgeoisie flamande devait se doter de ses propres organes de pouvoir, pour transformer ses besoins économiques en législation, en budgets, en politiques publiques, etc. La bourgeoisie flamande devint l’inspiratrice d’un processus de transformation des structures étatiques belges connues désormais sous le nom de « réforme de l’Etat ».

Mais le moteur de cette réforme fut le mouvement flamand. Toute la vie politique en Flandre est ponctuée d’évènements, de fêtes folkloriques, de commémorations… qui sont autant d’occasions aux diverses composantes du mouvement flamand de s’afficher, d’élaborer des centres d’intérêts, des objectifs, préparant un pas supplémentaire dans la construction d’un nouvel appareil d’Etat flamand. On en a eu du reste un aperçu récent avec la crise de 2007 autour de l’arrondissement Bruxelles-Halle-Vilvoorde, c’est-à-dire sur un problème administratif que personne ne comprenait, mais qui a abouti à un consensus sur une sixième (!) réforme de l’Etat.

C’est donc sous cette impulsion qu’une frontière linguistique a été officiellement tracée pour séparer la Flandre de la Wallonie en 1962, que s’est opérée l’expulsion des facultés francophones de l’Université de Louvain en 1968… entraînant au passage la séparation par étapes de tous les partis politiques sur une base linguistique. Depuis 1970, pas moins de six réformes de l’Etat se sont succédées. Désormais, une part essentielle des prérogatives de l’Etat, le pouvoir législatif et gouvernemental, les budgets ont été transférés vers les Régions. Ce transfert permet à chaque Région de soutenir à sa guise les intérêts de la bourgeoisie implantée sur son territoire, et bien sûr de diviser les travailleurs suivant leur langue maternelle.

Le rôle du PS

Face à la montée du capitalisme en Flandre, les organisations socialistes défendirent une politique de soutien et de subventions aux capitalistes implantés en Wallonie. Il n’était de toute façon pas possible au PS et à la FGTB de s’opposer à ce processus, impulsé par une bourgeoisie flamande active, puissante. Ou alors il aurait fallu mobiliser les travailleurs flamands et francophones dans une lutte commune contre le capitalisme, ce qui est bien évidemment hors des perspectives de ces organisations réformistes inféodées aux intérêts du patronat. Le rôle et la responsabilité du parti et du syndicat socialistes est d’avoir accompagné ces changements à travers les évènements comme la grève de 1960, le courant renardiste et nationaliste wallon, en faisant croire aux travailleurs qu’un gouvernement wallon pourrait résoudre les problèmes de la reconversion économique et du chômage.

C’était un mensonge ! Sous le capitalisme, les moyens du développement économique dépendent entièrement de la grande bourgeoisie qui prend ses décisions en fonction de perspectives internationales bien plus larges que des territoires minuscules comme la Wallonie… ou  la Flandre.

Par contre, le PS a utilisé le communautarisme pour présenter les attaques contre les travailleurs non comme découlant des seuls intérêts des capitalistes, mais de « l’égoïsme des Flamands ». Cette politique est un véritable poison qui a contribué à désorienter et à diviser les travailleurs.

Mais elle a aussi été du pain bénit pour le nationalisme flamand. Face à la dépolitisation et à la déconfessionnalisation de la société, le parti nationaliste flamand s’impose désormais comme le plus grand parti du pays… après avoir aspiré une partie des responsables du parti d’extrême droite, le Vlaams Belang.

Nous ne sommes pas pour autant à la veille d’un pouvoir fasciste. Le patronat, y compris flamand, tient à conserver le plus longtemps possible les divers outils politiques de sa domination, en ce compris les organisations syndicales.

La bourgeoisie flamande ne veut pas la fin de la Belgique et l’indépendance de la Flandre.  Elle a déjà non pas un Etat, mais deux, voire trois. La banque flamande KBC a été renflouée par l’Etat fédéral, c’est-à-dire les contribuables d’Arlon à Oostende. Les patrons flamands qui délocalisent en Wallonie ont bureau ouvert chez le ministre de l’Economie  le « socialiste » Marcourt. Comme le dit l’ancien patron du Voka, Michel Delbaere, «  qui peut savoir où se trouvent les opportunités économiques des 20 prochaines années  ? En Flandre ? En Wallonie ? Pour moi, il est important de préserver de bonnes relations avec mes amis wallons  ».

Mais la société vit au-dessus du volcan capitaliste. Une crise financière aux conséquences plus dévastatrices encore que celles de 2008 peut éclater à tout moment et bouleverser rapidement les rapports entre les classes sociales. Des organisations qui s’en prendraient violemment aux travailleurs qui voudraient se défendre pourraient rapidement se développer à partir, entre autres, des partis nationalistes et d’extrême droite flamands.

Mais une autre possibilité, serait qu’une révolte déterminée des travailleurs en Grèce déclenche un bouleversement des rapports de force à l’échelle internationale qui relèguerait l’extrême droite et le nationalisme à l’arrière-plan.

C’est bien sur la perspective sur laquelle on mise, et nous ne l’attendons pas passivement. Nous militons pour lui préparer le terrain, en s’opposant aux idées communautaires, nationalistes, anti-flamande, et en développant des idées clairement basées sur les intérêts de classe des travailleurs.