On n’en finit plus de compter les morts, après le naufrage d’un bateau, le 26 février, à quelques mètres des côtes de Calabre, à Steccato di Cutro, près de Crotone.
Parti d’Izmir en Turquie, le bateau transportait au moins 180 personnes, venues d’Afghanistan, de Syrie, du Pakistan ou de Turquie, qui tentaient de fuir la misère, la guerre et les régimes dictatoriaux de ces pays.
Chaque jour, de nouvelles victimes sont retrouvées et, le 7 mars, on dénombrait 72 morts, parmi lesquels 16 enfants, 21 femmes et un nouveau-né. Le terrible bilan, si près de la terre ferme, ne s’explique que par l’inexistence des opérations de secours. Frontex, l’agence européenne de garde-côtes, assure pourtant avoir repéré l’embarcation en difficulté et averti les autorités italiennes la veille du naufrage. En vain, puisque le gouvernement italien soutient, lui, que rien ne permettait de penser que le bateau était en difficulté.
Ce sont les habitants de Cutro qui ont rejoint les équipes de secours professionnelles pour tenter de sortir des survivants d’une mer déchaînée. Parmi eux, Vincenzo Luciano, un pêcheur prévenu par un ami le matin du naufrage, a témoigné : « La rage m’a pris quand je me suis rendu compte que je ne sortais que des cadavres de l’eau. J’essayais d’attraper le plus de personnes possible avant que le ressac ne les emporte. Mais même pour le petit, qui avait les yeux ouverts, c’était déjà trop tard. Il a fallu les lui fermer. »
Une autre volontaire, qui habite tout près de la plage, explique : « Ici, c’est un endroit heureux d’habitude. En été, la plage est couverte de familles, d’enfants qui jouent. En voyant tous ces corps sans vie, ces enfants morts, je me dis que pour prendre de tels risques, il faut n’avoir aucun avenir là où on se trouve et je me dis qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. » Depuis le naufrage, Vincenzo Luciano continue à parcourir des kilomètres de plage à la recherche des disparus : « J’ai promis à une mère qui a survécu de retrouver son fils, alors je cherche. De toute façon, je n’arrive à rien faire d’autre. » Un volontaire de l’association Mediterranea souligne que « c’est d’en bas que renaît une société fraternelle, à l’opposé des conclusions du gouvernement ».
C’est le moins qu’on puisse dire devant les déclarations des ministres, où l’ignoble le dispute au cynisme. À peine arrivé sur les lieux de la catastrophe, Piantedosi, le ministre de l’Intérieur du gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni, a ainsi expliqué : « Quand on est dans cette situation, il ne faut pas partir » et encore moins « mettre ses enfants en danger ». Et, pour couronner le tout, il a tenu à préciser que, s’il se trouvait dans un tel pays, il ne partirait pas, mû par son « esprit de responsabilité ».
Tandis que son ministre expliquait donc que la solution pour les migrants consiste à mourir à domicile plutôt que sur les plages italiennes, Meloni faisait part d’une « grande douleur » d’autant plus cynique qu’elle continue à assumer sans sourciller la criminalisation des ONG qui portent secours aux réfugiés en mer. Et elle s’est empressée de donner raison au pape qui, tout en dégoulinant de compassion vis-à-vis des victimes, appelle surtout à « arrêter les passeurs ».
Samedi 11 mars, des associations appellent à manifester à Crotone, sous la banderole « Vérité et justice pour les victimes du naufrage de Cutro ». C’est bien, comme elles le disent, « l’absence de réaction du gouvernement qui est aussi coupable que la mer déchaînée » et « l’absence de voies légales qui continue de faire le bonheur des passeurs et de transformer la Méditerranée en cimetière ».
Lutte Ouvrière France