Il y a 60 ans, la grève de l’hiver 60-61 : une leçon que nous ne pouvons oublier

Il y a 60 ans, un million de travailleurs belges s’opposaient à un plan d’austérité par une grève de 3 semaines. Pourtant, la plus large lutte sociale qu’ait connu le pays se termina par une défaite des travailleurs et un recul, celui de la fuite en avant dans les nationalismes wallon et flamand qui les divisent encore aujourd’hui.

Que s’est-il passé ?

En 1960, la bourgeoisie belge est en difficulté. Avec l’indépendance de sa colonie, le Congo, elle voit se tarir une importante source de profits. Or, il lui faut moderniser son économie, basée sur l’industrie vieillissante de la sidérurgie et des mines de charbon, pour développer les secteurs de la chimie, du pétrole, de l’automobile et de la télécommunication. Bien entendu, les capitalistes belges comptent sur les investissements publics pour réaliser cela, et tirer les profits après, exactement comme aujourd’hui. Et comme aujourd’hui, le gouvernement décide d’imposer un vaste plan d’économies sur le dos des travailleurs et de la population, à travers un plan d’austérité, appelé « loi unique ». 

Attaques contre les traitements des fonctionnaires, âge de la pension fixé à 65 ans au lieu de 60, contrôle des chômeurs et visites domiciliaires contre « les fraudeurs » à l’aide sociale : l’indignation est profonde dans la classe ouvrière confrontée à des vagues de suppressions d’emplois, dans les mines et la sidérurgie, notamment.

A l’époque, le Parti socialiste belge est dans l’opposition. Avec l’appui des dirigeants de la FGTB, les socialistes développent une campagne d’opposition au plan du gouvernement libéral – social-chrétien. Cette campagne rencontre auprès des travailleurs un écho qui dépasse les attentes des dirigeants socialistes, qui espéraient simplement accélérer de nouvelles élections pour revenir « aux affaires ».

Dès novembre 1960, la pression monte parmi les travailleurs qui exigent de leurs organisations syndicales des mots d’ordre de grève. Les dirigeants de la CSC, qui soutiennent le parti social-chrétien au gouvernement, refusent net. Ceux de la FGTB tergiversent. André Renard, le dirigeant de la régionale FGTB de Liège, qui passe pour le plus radical, promet « de proposer le mot d’ordre de grève général au bureau général de la FGTB le 24 janvier ». Mais le vote de la loi unique a lieu le 20 décembre, et c’est immédiatement que les travailleurs veulent s’y opposer par la grève dans tout le pays.

Face au refus des responsables syndicaux, les travailleurs se tournent vers les militants les plus décidés. La grève commence en Flandre, à Gand et à Anvers. Les dockers ont dû se battre physiquement contre leurs délégués pour imposer la grève. Les mêmes scènes se produisent dans la sidérurgie à Liège et Charleroi. Au parlement, où les députés discutent de la loi unique, Louis Major, député socialiste et dirigeant de la FGTB déclare « Monsieur le premier ministre, nous avons tout fait pour empêcher la grève ». Ce n’est que trop vrai. 

Mais devant le risque de se faire déborder par les travailleurs, les dirigeants de la FGTB changent de ton. André Renard lance contre les patrons et le gouvernement une menace radicale… en apparence : « l’abandon de l’outil », c’est-à-dire la destruction technique des haut-fourneaux. Bien sûr, c’est une menace en l’air. Mais ce radicalisme lui permet de s’opposer à la revendication d’une marche sur Bruxelles qu’exigent les travailleurs. Les ouvriers en lutte sentent profondément le besoin d’affirmer leur unité entre flamands et wallons, comme entre chrétiens et socialistes. Du reste, les syndiqués de la CSC se sont joints à leurs camarades socialistes dans la grève, au grand désarroi des dirigeants de la CSC.

La grève est puissante. Dans les centres industriels de Wallonie, rien ne fonctionne sans l’autorisation des grévistes. La troupe et les paras ramenés d’Allemagne contre les grévistes, fraternisent par endroit avec les travailleurs en lutte. En Flandre, encore largement rurale et catholique, la grève est plus difficile, mais les ouvriers flamands ne sont pas moins déterminés, au contraire. Ils regardent du côté des travailleurs wallons et des dirigeants de la FGTB wallonne, qui paraissent plus combatifs. Mais c’est pourtant de ces dirigeants, autour d’André Renard, que va venir le coup de poignard dans le dos de la grève.

Ceux-ci expliquent en effet aux travailleurs wallons que la victoire est impossible car « les Wallons ne peuvent avancer à cause d’une Flandre où souffrent nos camarades flamands sur le chemin de leur libération économique et sociale ». « Si le fédéralisme était instauré, nous pourrions avoir en Wallonie un gouvernement du peuple et pour le peuple ». Au lieu de les unifier, André Renard et les militants syndicalistes wallons qui le suivaient divisaient les travailleurs !

Aujourd’hui, après 40 ans de fédéralisme, on a vu la progression du chômage, de la précarité, de la pauvreté en Wallonie ! Mais le nationalisme wallon a offert aux ennemis des travailleurs un instrument redoutable pour les diviser. La grève prit fin dans le désordre durant la dernière semaine de janvier 1961. Et la “loi unique” sera mise en application par un gouvernement à participation socialiste !

Cette issue n’était pourtant pas fatale. Il a manqué aux travailleurs en lutte une direction capable de leur proposer, par-dessus les dirigeants syndicaux et les politiciens socialistes, des perspectives et une organisation de la grève à hauteur des enjeux. 

Ce problème d’hier sera notre problème demain, peut-être bientôt. C’est pour cela qu’il faut aux travailleurs un véritable Parti communiste révolutionnaire qui n’hésite pas à s’opposer aux capitalistes, aux gouvernements et à leurs serviteurs à la tête des organisations syndicales.