Il y a 50 ans : la grande grève de l’hiver 1960-61

Recul de l’âge de la pension et augmentation des cotisations salariales pour la financer ; augmentation de la TVA ; instauration du précompte permettant à l’Etat de taxer les travailleurs à la source et donc de récupérer leurs impôts à l’avance ; économies conséquentes sur l’enseignement ; contrôle draconien des chômeurs et des travailleurs malades ; baisse des salaires des futurs fonctionnaires ; subventions importantes pour les entreprises…

Non, ce n’est pas le programme d’austérité de l’Angleterre ou de l’Irlande ou celui qui attend sur les bureaux des futurs ministres belges, même si cela y ressemble comme deux gouttes d’eau. C’est le contenu de la « Loi unique » du gouvernement belge en 1960.

A l’époque, il s’agissait, entre autres, pour le gouvernement de faire supporter à la population le manque à gagner que subissaient les grandes entreprises belges, telles la Société Générale (lointain ancêtre de Fortis) suite à la perte de la colonie congolaise : colonie dont le pillage leur avait assuré pendant de longues années un taux de profit extraordinaire de 20%.

Il s’agissait aussi de financer sur le dos des masses laborieuses les investissements nécessaires pour moderniser l’économie belge. L’augmentation des impôts devait permettre à l’État de développer les infrastructures industrielles, alors que la grande bourgeoisie belge se détournait de la « vieille » industrie lourde et des mines de Wallonie.

Si l’on se souvient encore aujourd’hui de la « loi unique », c’est parce qu’elle a provoqué la plus grande grève que la Belgique ait connue jusqu’à ce jour, impliquant l’écrasante majorité des travailleurs dans les deux parties du pays.

L’action initiale n’est pas venue des directions syndicales qui ont essayé jusqu’au bout de canaliser le mécontentement qui grondait. Au lendemain des grandes manifestations du 14 décembre 1960, la perspective la plus radicale que proposaient les dirigeants syndicaux, c’était une journée de grève le 21 janvier, ce qui revenait à un baroud d’honneur après le vote de la loi…

C’est pourquoi les travailleurs employés dans les communes et provinces, qui étaient le plus durement frappés par la loi, militaient pour démarrer la grève le 20 décembre, début des délibérations à la Chambre, alors que la plupart de leurs dirigeants syndicaux tentaient de les décourager d’engager la lutte.

Mais le 20 décembre, les travailleurs communaux se mirent en grève et furent immédiatement rejoints par les dockers d’Anvers, les travailleurs des ACEC à Charleroi, puis les cheminots, les enseignants, et de nombreux travailleurs affiliés à la CSC qui s’opposait à toute action. Dans la métallurgie à Liège, les dirigeants syndicaux et ceux des délégués qui leur étaient fidèles, mirent tout leur poids dans la balance pour décourager les ouvriers et éviter les débrayages. Ce qui leur a valu d’être un peu bousculés… Le 23 décembre, la grève était générale. Elle allait durer 5 semaines.

Ni les appels du Cardinal Van Roey qui tentait de raisonner les travailleurs chrétiens, ni la répression n’arrivaient, ni l’hiver et les fêtes arrivaient à bout de la détermination des travailleurs. Le premier ministre en tombait malade.

Ce qui permit finalement d’endiguer la grève, ce fut la division communautaire.

Sous des faux airs radicaux, les dirigeants syndicaux liégeois et socialistes wallons dénoncèrent la montée en puissance de la Flandre « flamingante et catholique », dont il fallait se protéger en réclamant plus d’autonomie pour une Wallonie réformée qui échapperait au « diktat » de la Flandre. Pour eux, la solution c’était une Belgique fédérale.

Voilà qu’il n’était plus question de la loi unique, et voilà qui leur a permis de ne plus parler des capitalistes – souvent francophones – au profit desquels l’austérité était appliquée et qui licenciaient en Wallonie. Les dirigeants syndicaux écartaient ainsi les risques d’une manifestation commune des grévistes flamands et wallons à Bruxelles qui aurait sans doute encore amplifié le mouvement. Les grévistes flamands qui luttaient dans un climat plus hostile (beaucoup étaient même en prison), se trouvèrent alors isolés et durent progressivement abandonner. Cette reprise du travail par les grévistes de Flandre isola à son tour les grévistes wallons. Fin janvier, le travail avait repris dans la plupart des usines. Bien sûr le gouvernement en profita pour appliquer une grande partie de son programme d’austérité sur le dos des travailleurs.

Quant aux dirigeants politiques et syndicaux francophones, ils ont continué à pousser à la division et au découpage du pays, nous amenant à la situation actuelle où un démagogue soutenu par le patronat flamand se fait passer pour un dirigeant avisé.

Oui, la grève générale de l’hiver 1960 est d’actualité: c’est sur nos propres forces de travailleurs que nous devons compter et c’est par la lutte que nous pouvons faire reculer patronat et gouvernement qui veulent nous faire payer la crise. Mais il ne faudra pas se laisser diviser ni par région, ni par pays, ni par origine, mais au contraire, trouver l’unité dans la lutte et des objectifs communs avec les travailleurs de France, d’Allemagne, de Grande Bretagne, d’Irlande, d’Italie, d’Espagne et de Grèce… pour imposer notre contrôle aux banques et aux grandes entreprises pour les empêcher de saigner la classe ouvrière partout !