Mardi 9 juillet, alors que les travailleurs avaient quitté l’usine pour deux semaines de chômage suivies des congés annuels, la direction d’Audi a annoncé la fermeture en trois phases, avec 1.500 licenciements prévus dès septembre, jusqu’à probablement fermer pour fin 2025. C’est la préparation de la « procédure Renault » dont la phase 1 prévoit « d’explorer toutes les possibilités pour un maintien de l’entreprise ».
Les syndicats ont à peine fait passer le message, sans appeler à la moindre action. Les travailleurs eux-mêmes ont pris l’initiative de venir devant l’usine. Dès la nuit suivant l’annonce, quelques-uns sont arrivés et ont pu constater que la direction avait fait cadenasser l’usine, faisant monter la garde à des vigiles avec des chiens… et même armés !
Mais s’il n’y a pas de rentrée le 20 août ? Et comment faire pour être prêts à réagir quand la direction va commencer les licenciements, sans prime peut-être ! Déjà actuellement, des travailleurs reçoivent un mail leur signifiant leur licenciement pour avoir été trop souvent malades au goût de la direction !
Certains travailleurs sont convaincus qu’il ne faut pas attendre. Et ils l’ont fait savoir aux syndicats… qui ont répondu qu’ils devaient « faire confiance à leurs représentants élus ». Pour beaucoup de travailleurs, cette confiance est rompue. Cela fait des mois que les délégués les baladent, certains mentant éhontément. Et cela alors que la direction licenciait les intérimaires, renvoyait les anciens sur les postes les plus durs, et que tout le monde sentait que quelque chose se tramait !
Globalement, les travailleurs continuent à attendre des initiatives des syndicats. Mais il y a des travailleurs qui ont commencé à se rassembler devant l’usine et qui discutent de tous les problèmes. Faire quoi, avec qui ? Avec quelles revendications ? Comment construire un rapport de force, alors que l’usine ne tourne plus ? Comment s’organiser ?
Les semaines qui viennent peuvent permettre devant l’usine une discussion permanente façon camping (« vu que les vacances sont foutues de toute façon, on les passera ici », disait un ouvrier). C’est de là que peuvent jaillir et les idées d’action et les moyens de les réaliser.
En dépassant la simple colère contre les syndicats – qui devraient faire, mais ne font pas – en prenant en main les choses eux-mêmes, les travailleurs peuvent trouver les réponses à bien des questions, et constater qu’ils sont capables de s’organiser.
C’est des salaires et des existences des ouvriers qu’il s’agit, c’est eux qui doivent décider !
Paroles de travailleurs
Un jeune travailleur du montage : « Je ne veux pas de prime. Je veux garder mon emploi. Je suis venu travailler avec 39 de fièvre, j’ai été opéré du dos, et j’ai travaillé quand même. J’ai souffert pour avoir ce travail. Je ne veux pas devoir recommencer tout ça encore une fois ! Où est De Croo, où sont tous les politiciens qui ont dit qu’ils voulaient sauver l’usine ?! Qu’ils viennent un peu ici s’expliquer. Mais ils n’ont rien à faire de nous. Qu’ils essayent de faire le travail que j’ai fait ! Leur usine, leurs bagnoles, c’est nous qui les avons fabriquées. C’est nous leurs milliards ! Ils nous doivent ça ! »
Des ouvrières d’Impérial, sous-traitant d’Audi : « Ces derniers jours, chacune de nous faisait 4 postes ! On a travaillé, tu ne peux pas t’imaginer. Et maintenant, on ne sait même pas si ces jours vont même être payés. Parce qu’Imperial va peut-être faire faillite. »
Un ouvrier dans une discussion sur les primes : « Il n’y a pas que l’ancienneté, il y a toute la souffrance du travail à la chaîne, notre santé physique et mentale. Il faut leur mettre tout ça sur la facture. »
Un ouvrier du montage : « Ils m’ont pris ma santé. Ils veulent me prendre ma dignité. Ils n’auront pas ma dignité. Il faut se battre ! »
Un ouvrier de logistique : « Oui, sans doute, ça va être difficile de se battre. Ils ont décidé de fermer, ça va être comme ça. Mais il faut venir, il faut garder la tête haute. »
Les problèmes qui se posent :
Pourquoi ils ferment ?
C’est la question que beaucoup se posent. Et les tentatives d’explication vont bon train : à cause de l’Europe qui a supprimé les subventions à l’achat d’une voiture électrique, à cause de la Chine qui fait de meilleures voitures, moins chères. C’est l’électrique le problème. Ils auraient dû rester (ou revenir) aux moteurs thermiques. Certains disent même qu’il y avait quand même eu trop de malades. C’est normal que le patron ne veuille pas payer tous ces gens. Ou encore que les syndicats ont trop demandé.
Qu’une poignée d’actionnaires qui empochent des milliards chaque année décide de fermer une usine et envoyer des milliers de travailleurs et leurs familles dans la misère et la détresse, parce que ces milliardaires en veulent encore plus, c’est en effet difficile à concevoir. C’est pourtant ce qui se passe !
Sauver l’usine ou sauver nos vies ?
Beaucoup de travailleurs espèrent une prime et sont en train de calculer quel montant ils seraient prêts à accepter. Souvent, des militants syndicaux et aussi d’autres travailleurs leur répondent qu’il ne faut pas être « égoïste », pas penser seulement à l’argent, mais qu’il faut sauver l’outil ! Un travailleur répond : « mais à quel prix ? Ils vont nous imposer de travailler encore plus. Tu peux supporter ça ? Moi non ! Ce n’est pas pour l’usine qu’il faut se battre, mais pour nous. Ceux qui veulent une prime, doivent avoir une prime, et ceux qui veulent garder un travail avec un salaire, doivent avoir un travail. Ici ou ailleurs. »
Comment se battre, alors que les voitures qu’on fabrique ne se vendent pas ?
« On n’a pas de moyen de pression économique, la grève ne sert à rien ». Mais ce que craignent les patrons d’Audi et de tout le pays, ce n’est pas quelques voitures non produites. Ce qu’ils craignent c’est la révolte contagieuse qui pourrait partir des travailleurs d’une grande entreprise, située dans la capitale, qui plus est. Dans les discussions, on évoque Volvo où les ouvriers vivent la même chose ou presque, il y a l’épouse qui travaille à l’hôpital ou chez Delhaize et où ça ne va pas non plus. En fait, ça ne va nulle part pour les travailleurs. Il faudrait qu’on se mette tous ensemble. Et si on le décide, on peut le faire.
Faut-il attendre les négociations, respecter la procédure ?
La direction ne respecte rien depuis le début. Même pas ses propres engagements. Les procédures ne servent qu’à temporiser, pour toujours agiter une petite carotte devant le nez des travailleurs. Des négociations, il n’en sortira rien qui vaille sans rapport de force !
A quoi ça sert de venir devant l’usine, si on ne fait rien ?
Un ouvrier : « il faut venir, déjà pour ne pas être seuls. C’est ici qu’on voit les camarades. A la maison, je deviendrais fou. » Et on peut ajouter : et c’est ici qu’on peut discuter ensemble de tous ces problèmes et trouver des pistes d’action ensemble.