En mai 1940, la Belgique est envahie et occupée par l’Allemagne nazie en seulement 18 jours. Une partie importante des classes dirigeantes belges décide de collaborer avec l’occupant, facilitant la mise en place d’un « ordre nouveau » sous domination nazie. Les patrons belges, par exemple, tirent profit de l’interdiction des syndicats, des grèves et du blocage des salaires imposés par l’autorité militaire allemande.
Même une large partie des responsables socialistes, tant dans le parti que dans les syndicats, tentent de trouver un compromis avec les occupants nazis. Par exemple, Le 28 juin 1940, Henri De Man, un des dirigeants socialistes les plus influents invite dans un manifeste à créer un « nouveau socialisme» en Belgique, qui pourrait tout à fait s’adapter à l’ordre nazi. En juillet 1940, « la nouvelle CGTB », sera lancée en signe de rupture avec le passé.
Mais parmi une grande partie des travailleurs du rang, l’occupation et l’idéologie fasciste et antisémite suscitent haine et rejet. Dès le début de l’occupation, les travailleurs sont confrontés au chômage, aux licenciements arbitraires, à la hausse des prix et au blocage des salaires… ainsi qu’à la défection des dirigeants syndicaux. Si les uns s’étaient volontairement soumis à « l’ordre nouveau », les autres avaient déclaré toute action syndicale impossible et la CGTB (ancêtre de la FGTB) dissoute. Alors dans beaucoup d’entreprises, les militants de base prirent l’initiative. Dès octobre 1940, des grèves éclatent, qui s’amplifient jusqu’à la grande grève de mai 1941, connue sous le nom de « grève des 100.000 ».
Le PCB sacrifie son ancrage auprès de la classe ouvrière
Le Parti Communiste (PC) belge qui existait depuis 1921, passé sous l’influence de la bureaucratie stalinienne, avait abandonné l’internationalisme et adopté l’union nationale avec sa propre bourgeoisie. Mais par suite des zigzags de la politique stalinienne, et comme ils devaient justifier le pacte de non-agression signé en 1939 entre Hitler et Staline (pacte germano-soviétique), les partis et militants communistes développèrent au début de la guerre une politique résumée par le mot d’ordre « ni Londres, ni Berlin ».
Cette politique n’avait pas pour but de convaincre les travailleurs que face à la guerre impérialiste les travailleurs belges et allemands pouvaient transformer la guerre nationaliste en une guerre révolutionnaire contre le capitalisme. Mais cela laissait le champ libre aux militants sur le terrain pour développer une propagande « lutte de classes ».
Dans le contexte de grèves de plus en plus nombreuses, le PC créa alors des Comités de Lutte Syndicale (CLS) qui regroupèrent, de manière conspirative, des ouvriers de toutes tendances et catégories « en vue de la défense de leurs intérêts et besoins contre l’occupant, ses valets fascistes et ses complices capitalistes ». Les militants communis- tes de base participaient aux grèves et les encourageaient partout où ils se trouvaient. Alors un peu partout, des travailleurs font le pas de rejoindre le PC.
En juin 1941, Hitler va lancer son offensive contre l’URSS, rompant de fait le pacte de non-agression germano-soviétique. Cela amène la bureaucratie stalinienne, face à l’invasion allemande, à un nouveau tournant : relancer d’urgence dans les partis communistes à l’ouest la lutte contre l’occupant nazi.
Le PCB va alors diriger ses militants vers une résistance armée qui traite tous les Allemands comme des ennemis à abattre, ce qui pousse les soldats allemands à se solidariser avec leurs officiers. La priorité devient le Front de la Résistance. Avec des slogans repris de la première guerre mondiale comme « à chacun son boche » et avec l’utilisation de la lutte armée, la direction communiste va mener les jeunes militants dans une impasse politique, qui en plus d’être inefficace, va empêcher toute fraternisation entre Belges et soldats allemands.
Les actions « de choc » ou l’assassinat de soldats allemands vont mener de nombreux militants communistes à se faire arrêter… tout en nourrissant le nationalisme.
La bourgeoisie craint les travailleurs
Après la défaite de la Wehrmacht face à l’Armée soviétique à Stalingrad, début 1943, et alors que les USA sont entrés également dans la guerre depuis un an, la bourgeoisie européenne comprend que les nazis vont perdre la guerre. Un peu partout, elle cherche alors à préparer cette échéance.
Le souvenir de la fin de la première guerre mondiale n’est pas loin : à partir de la révolution russe d’octobre 1917, une vague révolutionnaire avait déferlé sur l’Europe, menaçant le pouvoir de la bourgeoisie !
Au cours de la seconde guerre mondiale, les autorités officielles avaient perdu beaucoup de leur crédit. Et à l’inverse, de nombreux travailleurs avaient appris à se battre. Pire pour les classes dirigeantes : de nombreux travailleurs étaient décidés à en découdre avec les oppresseurs nazis… et leurs collaborateurs nationaux ! Et pour beau- coup de travailleurs, la lutte contre le nazisme était associée à la lutte contre le racisme et contre toutes les oppressions économiques et sociales : à une lutte pour se débarrasser du vieux monde capitaliste. Parmi ces travailleurs ou militants de qualité, beaucoup d’entre eux étaient armés !
Selon les pays, la bourgeoisie opte alors pour l’une ou l’autre stratégie pour empêcher le développement d’un mouvement révolutionnaire et pour désarmer les travailleurs. En France, elle s’appuie sur le PCF lui-même. En Belgique, le poids du Parti Ouvrier Belge et des syndicats est encore important auprès des travailleurs : la bourgeoisie n’ayant pas besoin du PC, elle va chercher à s’en débarrasser et à imposer le désarmement des travailleurs orga- nisés dans les groupes de résistance communistes.
Après le débarquement de juin 1944, en quelques mois, l’armée allemande est repoussée de France et de Belgique. Les bourgeoisies nationales veulent réimposer leur pouvoir. Pour arriver à désarmer les travailleurs, les classes dirigeantes vont opposer une tactique en plusieurs phases. Après une première phase de reconnaissance officielle des sacrifices des groupes de résistance, mais où les résistants devaient venir se faire immatriculer, les autorités belges, sous contrôle britannique, vont accélérer les opérations.
Début octobre 1944, en parallèle d’un renforcement de l’armée officielle (5.000 armes sont livrées en 24h), un comité décide de placer tous les groupements reconnus sous l’autorité d’un commandement unique. Cette mesure avait pour but d’intégrer progressivement les éléments « assimilables » de la résistance tout en éliminant ceux qui ne se conformaient pas aux exigences de l’armée. Le ministre Demets précise au général Gérard qu’il s’agissait d’ « étrangler la poule sans la faire crier».
Refus du désarmement
Lors de la libération de la Belgique, la direction du PCB n’est pas spécialement contre le fait de rendre les armes. Ce qui compte pour ces dirigeants qui ont depuis longtemps abandonné la perspective révolutionnaire, c’est avant tout de peser davantage dans le paysage politique et faire élire des députés.
«Le F.I. [Front de l’Indépendance : organisation de la résistance en grande partie communiste] salue le retour au pouvoir des autorités légales n’ayant pas démérité. Consciente de la gravité des problèmes qui vont se poser, de toute urgence, pour le pays, la Résistance exprime le désir formel d’être consultée par les autorités et d’être associée d’une manière concrète à la réalisation des tâches essentielles de la restauration du pays […]».
Mais les travailleurs et militants du rang ne voulaient pas rendre les armes. Ils étaient encore en guerre contre ceux qui avaient tué leur famille, leurs amis. La direction du PC va alors utiliser ce sentiment des travailleurs pour tenter de négocier des places au sein du nouveau gouvernement.
Le Bureau politique du P.C. lance alors un ultimatum au gouvernement : incorporation immédiate de la Résistance dans l’armée, la gendarmerie ou la police ; répression de la collaboration administrative et éco- nomique ; séquestre des biens des collaborateurs en fuite. Sans cela, pas de désarmement. Il est clair, malgré cette apparence de radicalité, que la direction communiste ne cherche pas à remettre en cause le pouvoir de la classe dominante. Et puis le mécontentement est profond dans la population, à cause du chômage, de la cherté et du manque d’aliments, et d’un gouvernement bourgeois réfugié à Londres pendant toute la guerre.
Les évènements du 25 novembre
Le 16 novembre 1944, deux ministres communistes qui avaient intégré le nouveau gouvernement à la libération démissionnent. Cette démission est suivie d’un appel à une manifestation qui aura lieu le 25 novembre 1944. Le PCB appelle ses militants dans toutes les organisations de la résistance à prendre l’initiative de constituer de fortes délégations pour Bruxelles. Aux Forges de Clabecq, les ouvriers se mettent en route à 5h du matin, le parcours est effectué à pied ; beaucoup sont en sabots. Et au passage, ils débauchent les Ateliers de Tubize, les ACEC de Ruisbroek, la plupart des ateliers situés sur le chemin.
Le cortège est pacifique et les directions de résistance ont demandé de venir sans armes. De nombreux participants sont tout de même armés mais ne les utilisent pas. Cependant, par suite d’une bifurcation du cortège à Bruxelles, dans la « zone neutre » qui accueille les institutions du gouvernement, les évènements s’accélèrent. La gendarmerie a reçu l’ordre de ne pas laisser passer le cortège et, par suite d’un premier lancer de grenade, divers tirs ont lieu. Il y aura 45 blessés au moins, dont 5 grièvement, et de nombreux participants seront désarmés. Puis, l’incident sera utilisé pour continuer le désarmement de force des travailleurs.
Après-guerre
En Belgique, ce dernier bras de fer entre le gouvernement belge et la résistance marque la fin de son influence. Les résistants vont être petit à petit conduits au rôle de geôliers pour les centres d’internement puis complètement désorganisés.
Après la guerre, le Parti Communiste belge participe à deux gouvernements successifs. Aux élections de 1946, le PC obtint près de 13% des voix, (dont 22% en Wallonie, 17 % à Bruxelles, 4 % en Flandre) ainsi que 23 sièges au Parlement (sur 211). Aux élections suivantes, en 1949, le PC est redescendu à 7,5% des voix et à 12 sièges au Parlement.
Malgré une hausse très importante des adhérents, de 10.000 membres avant-guerre à 100.000 après, le PCB, par sa politique, va conduire à affaiblir le mouvement ouvrier, et s’affaiblir lui-même, en menant dans une impasse les nombreux travailleurs et militants qui avaient rejoint les rangs communistes.
Sacrifiés dans le travail de résistance, puis entraînés dans une politique réformiste, les travailleurs qui ne manquaient ni de courage, ni de dévouement individuel, ont manqué d’une politique juste.