Le mouvement communiste en Belgique

Exposé de septembre 2010  Lutte Ouvrière-Arbeidersstrijd

Introduction

La Belgique n’a pas connu jusqu’ici d’événements déterminants pour l’histoire du mouvement ouvrier et le sort de la révolution mondiale ne s’y est pas joué. Cependant, nous vivons et militons ici et cela vaut la peine que nous ayons une idée de la manière dont le mouvement communiste s’est développé dans ce pays, comment il a subi les influences internationales et y a répondu. Nous avons plus d’une fois rencontré autour de nous, dans nos activités et dans nos caravanes, des personnes se réclamant de famille communiste ou trotskyste, c’est leur histoire que nous allons aborder aujourd’hui.

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Suite à la révolution russe de 1917 qui avait mis à bas le régime tsariste, une vague révolutionnaire balaya l’Europe. En 1918, eut lieu une révolution en Finlande, en 1918-19 en Allemagne, en Hongrie, et une insurrection ouvrière à Vienne ; en 1921-1922, il y eut des grèves insurrectionnelles en Italie.

La révolution russe et la vague révolutionnaire qui l’a accompagnée provoquèrent un enthousiasme et un élan général à travers le monde entier.

La Belgique d’après-guerre n’a pas connu de situation révolutionnaire. Mais les travailleurs bénéficièrent de cette vague. Car cet élan révolutionnaire entraîna une majorité de salariés, gagnés par le climat revendicatif, vers les organisations syndicales pour y mener des luttes. Les travailleurs belges se lancèrent dans des grèves importantes : en 1918 au port d’Anvers, en 1919-1920, dans la métallurgie, dans les mines et dans bien d’autres secteurs.

Face à ces grèves, la bourgeoisie belge n’était pas rassurée. Elle craignait, ainsi que le reste de la bourgeoisie mondiale, l’extension de la révolution.  C’est dans ces circonstances que les travailleurs ont obtenu en Belgique ce qu’on a appelé Suffrage Universel même s’il ne s’appliquait qu’aux hommes et pas aux femmes, ainsi que la journée des huit heures, la construction de logements à bon marché, etc…

Mais la bourgeoisie ne céda pas cela de n’importe quelle manière, elle s’assura de l’encadrement des travailleurs par des appareils déjà responsables à ses yeux : le Parti ouvrier belge et les syndicats.

Le POB était associé au gouvernement d’Union sacrée depuis la guerre ; quant aux syndicats, le patronat s’en était servi pendant la guerre comme réseaux de distribution de l’aide alimentaire aux travailleurs. Manœuvre habile car en mouillant ainsi les meneurs, les opposants habituels dans la répartition de rations insuffisantes, qui allait encore pouvoir les critiquer ?

Si la vague révolutionnaire qui secoua l’Europe amena des milliers de personnes vers les organisations de lutte, le POB et les syndicats, le patronat sut aussi voir l’intérêt que pouvaient avoir ces appareils pour limiter les élans de la classe ouvrière.

C’est ainsi qu’à partir de 1919, des Conseils d’entreprises sont mis en place, réunissant les patrons et les permanents syndicaux, puis les commissions paritaires, regroupant patrons et syndicats par branche d’industrie pour conclure des conventions collectives sur la progression des salaires et l’amélioration des conditions de travail en échange de la paix sociale.

Création du PC

Si l’ensemble des travailleurs belges gagnèrent un certain nombre d’acquis bien réels dans l’immédiat après-guerre, les espoirs de quelques-uns parmi eux étaient bien plus grands. Ils espéraient gagner un monde nouveau. Car,en Russie, les travailleurs venaient de renverser le tsarisme. La révolution mondiale était en marche.

C’est ainsi que des jeunes, comme War van Overstraeten, par exemple, 25 ans à l’époque, originaire d’une famille bourgeoise de Lommel, s’engageaient corps et âme dans le mouvement révolutionnaire. Overstraeten fit un voyage en Russie en 1918 et à son retour, il se mit en devoir d’unifier les groupes d’autres jeunes comme lui pour fonder le premier PC de Belgique.

Le groupe mené par War van Overstraeten, qui comptait à peu près 200 membres, rassemblait quelques cercles des Jeunes Gardes Socialistes (les jeunesses du Parti ouvrier belge) qui avaient quitté le POB pendant ou immédiatement après la première guerre mondiale, écoeurés par la trahison

des partis socialistes qui les avaient menés à la boucherie. A ces cercles issus des Jeunes Gardes Socialistes venaient se joindre des groupes de tendances diverses : des anti-militaristes, des syndicalistes, des anarchistes, ou encore des révolutionnaires ex-activistes, notamment à Anvers.

Ceux qu’on appelait alors les « activistes » étaient des jeunes qui avaient milité pour la cause flamande.  Car avec le Vieux monde qui sombrait avec la Première Guerre mondiale et les espoirs révolutionnaires dans un avenir communiste, apparaissaient des revendications contre toutes les injustices : la cause des femmes, par exemple, mais aussi celle des peuples opprimés. Cette période coïncidait donc aussi avec une montée du mouvement flamand. Ces activistes comptaient, pendant la guerre, sur l’occupation allemande qui menait une « Flamenpolitik » destinée à s’assurer le soutien de la population flamande. (C’est sous l’occupation pendant la Première Guerre mondiale que fut inaugurée la première université de langue flamande à Gand.). Mais avec la vague révolutionnaire d’après-guerre, certains de ces activistes évoluèrent vers le mouvement révolutionnaire prolétarien. Ces activistes, accusés aussi bien de collaboration avec l’ennemi que de menées révolutionnaires, étaient souvent condamnés à de lourdes peines. L’agitation autour de leur défense fit partie des activités du petit PC pendant les années 20.

Le groupe de Van Overstraeten avait tous les symptômes du gauchisme, ce que Lénine appelait à cette époque la maladie infantile du communisme. Ce groupe était contre la participation aux élections et contre le travail des militants dans les syndicats « pourris ».

Mais à l’école des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste (ceux de 1919 à 1923, quand l’IC était encore révolutionnaire) ils comprirent la nécessité de s’adresser à la masse des travailleurs pas encore gagnée à l’idée révolutionnaire à travers les élections et le travail syndical. Et War Van Overstraeten fut un des premiers élus du PC.

Un an après la création du PC par Van Overstraeten, un autre groupe les rejoignit. Il s’agit d’un groupe constitué autour de Joseph Jacquemotte.

Jacquemotte, qui avait alors 38 ans, était un militant syndical, de tendance « lutte de classe ». Il était au Syndicat des employés socialistes dont il devint permanent en 1910. Il n’avait pas de formation théorique très poussée. Il fut séduit par les méthodes d’action directe utilisées par les cégétistes français. Le sabotage et le boycottage avaient sa préférence. Son action syndicale- notamment dans les grands magasins-  lui valut plusieurs séjours en prison et une grande popularité à Bruxelles. En 1911, suite à une condamnation à trois mois de prison, une manifestation de 6000 personnes réclama sa libération.

Une résolution, que son syndicat fit adopter à un congrès, résume bien ses idées, je cite : « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », la résolution condamnait ainsi « toute compromission avec les patrons (qui) ne peut qu’amoindrir leur action de classe ». Il devait en être de même dans le parti. A un autre congrès, Jacquemotte, applaudi par les délégués, lança qu’il aimait « mieux les ouvriers qui se défendent eux-mêmes que ceux qui se font défendre par les hommes d’une autre classe ». Il dénonçait par là, la présence de bourgeois au sein du POB.

Cela ne signifie cependant pas que Jacquemotte était contre le parlementarisme et l’action législative : mais il était de ceux dans le POB qui étaient conscients que c’est par la lutte, par les grèves générales que les travailleurs avaient gagné des avancées, même politiques.

Jacquemotte était considéré comme étant à la gauche du POB, et avait entrepris un journal intitulé « L’exploité ». « Les amis de l’exploité » réunissaient de nombreuses personnes pour la diffusion de cet hebdomadaire.  Leur objectif était de mettre fin à l’expérience de collaboration gouvernementale dans laquelle s’était lancé le POB pendant et après la Première Guerre mondiale.

Jacquemotte et  « les amis de l’exploité » ne croyaient pas que le POB était irrécupérable et qu’il fallait reconstruire de nouveaux partis ouvriers. A leurs yeux l’attitude du POB face à la Première Guerre mondiale n’était pas juste, mais ne signifiait pas une trahison et la mort de la deuxième internationale comme l’avaient considéré des révolutionnaires comme Lénine et Trotsky.

Si les « Amis de l’exploité » finirent par quitter le POB en mai 1921, c’est

parce qu’au dernier congrès du POB, il avait été décidé d’interdire l’activité autour de l’Exploité, cette activité étant considérée comme de nature à diviser le parti.

Mais alors que près de 91.000 voix s’étaient prononcées pour la tendance de Jacquemotte contre 448.000 pour la direction, seul quelques centaines de militants suivirent Jacquemotte lorsque les « Amis de l’Exploité » décidèrent de scissionner et de se constituer en Parti communiste belge.

Un deuxième PC apparaissait donc en Belgique.

En 1921, l’Internationale communiste demanda la fusion du groupe des jeunes réunis autour de Van Overstraeten ainsi que du groupe de Jacquemotte. Une direction révolutionnaire dans un pays devait nécessairement être unie pour affronter les événements dans les périodes de luttes intenses. Cette orientation avait même été inscrite dans les statuts de la 3ème internationale qui ne permettaient pas l’existence de deux PC au sein du même pays. Si l’IC put aboutir à la fusion de ces deux groupes, c’est parce qu’elle était composée des militants et des dirigeants qui avaient mené la révolution russe jusqu’à la victoire et elle bénéficiait donc d’un crédit immense.

L’unification est faite le 4 septembre 1921. A la fusion de ces deux groupes, le PCB comptait 700 membres issus de tendances fort différentes et dont une bonne part se recrutait parmi les étrangers. (A titre d’exemple, à Liège en 1926 : il y avait 267 belges et 250 étrangers). Chaque groupe avait perdu pas mal de membres, entre autres à cause des concessions réciproques faites pour l’unification.

C’est donc la fusion de deux groupes aux origines et aux conceptions très différentes qui vont constituer le PCB.

La tendance de War Van Overstraeten était pour la construction d’un parti d’avant-garde, dans lequel les membres ne font pas que cotiser, mais participent aux réunions et militent. Ils accordaient aussi une grande importance à la formation. Tandis que la tendance Jacquemotte, issue du POB, envisageait plutôt la création d’un parti de masse comme l’était le POB.

Le petit nombre de leurs membres n’avait pas été un obstacle pour les jeunes autour de Van Overstraeten car l’exemple russe leur avait montré que même un courant très minoritaire comme les bolcheviques pouvait agir et gagner.

La fusion s’était faite grâce à l’intervention de dirigeants de l’Internationale communiste. Mais l’IC ne sera plus d’un très grand secours pour permettre à ce jeune parti révolutionnaire de s’affermir et de trouver son chemin politique.

Car la période de montée révolutionnaire commencée en 1917 était en train de prendre fin et la période qui commençait n’allait pas être facile. En 1922, Mussolini avait pris le pouvoir en Italie, mais ce fut la défaite de la révolution allemande en 1923 qui marqua la fin de la vague révolutionnaire en Europe. La révolution russe restait isolée ce qui entraîna la bureaucratisation du régime soviétique.

Après 1923 et la mort de Lénine, une opposition de gauche s’était constituée au sein du Parti communiste d’Union soviétique autour de Léon Trotsky. Comme Lénine avant de mourir, cette opposition dénonçait le processus de bureaucratisation en cours et critiquait la direction du parti et certains de ses choix politiques. La lutte de fractions au sein du parti communiste russe entraîna l’expulsion de Trotsky fin 1927. C’est que l’écrasement de la révolution chinoise de 1927, dans laquelle la direction stalinienne avait fait suivre une politique désastreuse au PC chinois, se traduisit par un renforcement de la bureaucratie stalinienne.

La défaite de la révolution ouvrière en Chine consolida encore l’isolement de l’URSS et la mainmise de la bureaucratie sur l’état soviétique.

 

La clique bureaucratique au pouvoir en Russie n’était pas préoccupée par l’extension de la révolution mais par le maintien du statu quo, le maintien de l’appareil d’Etat dont elle tirait son pouvoir et ses privilèges. Et cela eut des conséquences sur l’Internationale communiste, dont les représentants étaient en mesure de détourner, au profit de leur politique, la confiance et la discipline des partis communistes à l’égard du parti bolchevique.

Cette politique fut caractérisée par la perspective de construire le socialisme dans un seul pays, contrairement à toutes les perspectives

développées jusque là par les marxistes. Et la politique erronée de l’Internationale qui entraînait défaites sur défaites, en Allemagne en 1923, en Chine en 1927, puis en Espagne en 1936, confirmait aux yeux des masses que la révolution n’avait été possible qu’en URSS.

A travers l’Internationale communiste, les délégués russes vont parvenir à imposer des politiques aux PC, non plus en fonction du développement de la lutte des classes et de la conscience des travailleurs, mais des besoins politiques, diplomatiques, économiques, militaires même, de la bureaucratie au pouvoir à Moscou.

Depuis fin 1923,début 1924, des résolutions contre le « trotskysme » étaient adoptées, tant dans le parti russe que dans la troisième Internationale. Au 5ème congrès de l’Internationale communiste (qui eut lieu en juin-juillet 1924), toutes les sections sont mobilisées contre le trotskysme. Le prestige de Trotsky est encore grand, et la bureaucratie soviétique veut s’assurer que chaque section nationale appuie sa position contre l’opposition de gauche.

C’est dans cette optique que l’Internationale adopte la politique dite de « bolchevisation » qui fut dictée aux différents PC par le parti russe en 1925. Cette politique implique une réorganisation des PC sur base des cellules, essentiellement des cellules d’entreprises.

Sous prétexte de la construction de partis révolutionnaires sur le modèle du parti bolchevique, il s’agissait pour les nouveaux dirigeants de l’IC, au contraire, de faire taire les oppositionnels au nom de la discipline. Ce fut un des premiers détournements des idées de Lénine au profit de la bureaucratie, d’autres vont suivre. Et à ceux qui n’accepteront pas cette liquidation de la démocratie dans le parti, les dirigeants de l’IC ne répondirent plus désormais par des arguments, mais par l’exclusion et les calomnies.

Les nouvelles orientations de l’IC ne passèrent pas sans oppositions. La lutte entre la fraction de Trotsky qui restait sur les bases internationalistes, et les fractions bureaucratiques fut suivie de près par nombre de militants responsables. En janvier et février 1924, les positions respectives de Trotsky et de la direction russe sur la situation en Russie étaient parues dans le Drapeau Rouge – le quotidien du PCB- presque journellement.

En mars 1925, après le 5ème congrès de l’IC, la majorité du Comité central du PCB, par 19 voix pour et 3 contre, vota une motion de Van Overstraeten dans laquelle elle se déclarait en désaccord avec les accusations contre Trotsky et l’Opposition russe.

Les 3 voix minoritaires allèrent à la résolution de Jacquemotte accordant sa confiance inconditionnelle à l’IC sur le trotskysme et la bolchevisation.

Contrairement à la France et à d’autres pays, cette opposition majoritaire en Belgique contre la « bolchevisation » ne déboucha cependant pas sur des exclusions du parti, sans doute parce que le petit PC de la petite Belgique n’inquiétait pas beaucoup l’IC et que l’IC n’y accorda pas beaucoup d’attention.

Lorsque en novembre 1927, survint la nouvelle de l’exclusion de Trotsky du Parti communiste d’Union soviétique, celle-ci choqua de nombreux militants. Dès le lendemain de la nouvelle, une section du PC de Bruxelles déclara qu’elle ne fasait plus confiance à la direction de l’Internationale communiste. Sous la menace de cessation de toute activité publique par la section, elle exigea des réunions fédérales avec pour ordre du jour les exclusions en Russie. Plusieurs autres sections envoyèrent également des résolutions au Comité central du PCB, critiquant les informations unilatérales données par l’IC et réclamant des explications plus détaillées sur les exclusions. La fédération de Charleroi demanda la publication  du point de vue de l’Opposition.

Le Comité central du 27 novembre 1927 approuva, par 15 voix pour et 3 contre, deux résolutions demandant à l’IC de suspendre les exclusions et de convoquer rapidement un congrès mondial ainsi que de publier dans la presse aussi bien le point de vue officiel que les documents de l’Opposition.

Des divisions idéologiques sont donc apparues au sein du Parti communiste de Belgique à propos de l’Union soviétique. De nombreux militants furent choqués par l’expulsion d’URSS de vieux bolcheviques comme Trotsky et par la campagne de calomnies qui vinrent les frapper. Des discussions avaient également lieu  à propos de la politique menée en Chine où le PC chinois était resté au sein du Kuomintang, sur conseil de l’Internationale, ce qui l’avait mené à la mort, ainsi que sur la possibilité de réaliser ou non le socialisme dans un seul pays suite au nouveau mot d’ordre de Staline qui reniait complètement les principes communistes internationalistes défendus par l’opposition.

En janvier 1928, débuta une période de discussions dans le PCB, avec d’une part Van Overstraeten qui défendait les thèses de l’Opposition de gauche avec Trotsky et d’autre part un jeune du nom de Coenen     (qui venait d’effectuer un voyage à Moscou), et Jacquemotte qui défendaient la position stalinienne. Tout le parti fut impliqué dans ces discussions qui étaient retranscrites dans le Drapeau Rouge.

Au Comité central, en ce début 1928, les deux tendances obtinrent chacune 13 voix. La différence de proportion avec le Comité central de novembre 1927 (15 voix pour l’opposition et 3 voix contre) tenait au fait que suite à des manœuvres de la tendance stalinienne, le nombre de personnes ayant le droit de vote avait changé et fortement augmenté.

Quoi qu’il en soit, la discussion fut menée publiquement à travers une tribune ouverte dans le Drapeau Rouge, du 18 janvier  au 3 mars 1928 : presque une page entière des 4 qu’il comptait journellement, était consacrée à la discussion.

(Le Rode Vaan, qui était hebdomadaire, s’y prêtait moins, une page supplémentaire y était insérée mais les différents points de vue n’y ont été exprimés que 5 fois.)

La discussion publique est stoppée le 2 mars par la tendance stalinienne. A la même période des réunions fédérales étaient organisées dans lesquelles les militants de la base devaient se prononcer pour l’une ou l’autre des tendances et élire des délégués pour une conférence nationale du parti. Il ressortit de ces réunions 34 mandats de délégués pour l’Opposition et 74 mandats pour la tendance stalinienne.

L’opposition critiqua le fait que ces résultats ne reflétaient pas réellement les rapports dans le parti et dénonça les manœuvres staliniennes telles que l’information unilatérale des jeunes et l’afflux soudain et artificiel de nouveaux membres.

La conférence nationale qui mettait fin à la discussion eu lieu à Anvers les 11 et 12 mars 1928. Cette conférence n’apporta rien de neuf, tout étant déjà joué d’avance.

La conférence enjoignit les oppositionnels à signer un texte dans lequel ils s’engageaient à combattre les idées de l’opposition et à reconnaître qu’ils étaient des mencheviks et des contre- révolutionnaires. Ce qu’ils refusèrent de faire.

Bien que personne ne fut exclu sur le champ, cela revenait très fortement au même.

Les délégués de l’opposition quittèrent la conférence avant sa clôture officielle.  Ils tinrent immédiatement une réunion au cours de laquelle ils décidèrent de continuer la lutte par tous les moyens politiques, malgré la difficulté éprouvée à quitter un parti qu’ils avaient participé à construire.

1928 marqua donc la scission du PC entre les staliniens et les trotskystes. Moins de 7 ans auparavant, le parti avait été créé par la fusion de deux groupes.

Le PCB perdit dans cette scission la majorité de ses cadres ainsi que des bastions ouvriers importants comme Charleroi et Anvers qui passaient quasiment entièrement à l’opposition.

Vu l’importance de la scission oppositionnelle -un tiers des membres a choisi l’opposition- l’Internationale s’est dès lors penchée de près sur la Belgique.

Après la scission

En fait, la Belgique était un des seuls pays où autant de cadres et de fondateurs du parti rejoignirent l’opposition. Et où l’opposition eut une implantation ouvrière relativement importante.

Oui, on peut dire que les forces vives du parti étaient passées dans l’opposition et ce qui restait du PC ressemblait à ce moment à peau de chagrin.

Suite à la scission, le PC connut de grosses difficultés, il fallut remplacer les cadres et il éprouva des difficultés à faire paraître le Drapeau rouge, faute de bons rédacteurs. Tous les cadres du PC furent remplacés par des jeunes sans expérience, et qui étaient d’autant plus dépendants de la direction de l’IC qui eut d’ailleurs un délégué permanent sur place à partir de 1934.

Tous les sympathisants, même peu actifs et peu formés, étaient affiliés au parti pour faire nombre, mais un an après la scission, les difficultés n’étaient pas encore effacées. En novembre 1929, le Drapeau Rouge de quotidien devint hebdomadaire. En 1930, la perte des membres, surtout dans les grandes entreprises n’était pas encore compensée par le nouveau recrutement.

La nouvelle orientation de l’IC, celle de la « 3ème période » n’y aidait pas beaucoup non plus. En adoptant la politique dite « classe contre classe », les communistes traitèrent les sociaux-démocrates de social-fascistes. Aux travailleurs sociaux-démocrates, les PC demandaient de rompre avec leurs dirigeants avant de proposer de mener la lutte en commun. Au niveau syndical, cette politique se traduisit par la création de syndicats communistes révolutionnaires séparés des syndicats socialistes. Cela eut surtout comme résultat l’isolement des militants communistes.

Mais ceux des oppositionnels qui auraient cru le PC mourant, se trompaient lourdement. Car le PC ne se limitait pas qu’à ses militants en Belgique. Il avait pour lui l’immense prestige de la révolution russe et de l’Union soviétique. Et à chaque montée de luttes, il sut attirer de nouveaux militants qui s’engagèrent  avec enthousiasme et discipline pour la révolution, en engageant leurs vies.

Et si on peut regretter évidemment que ces bonnes volontés aient été détournées par la bureaucratie stalinienne, cela témoigne aussi de l’engagement du prolétariat dans certaines périodes, de la force et de la grandeur de la révolution prolétarienne et des idées communistes.

L’Opposition quant à elle, s’était mise au travail aussitôt après la conférence d’Anvers. Les 46 délégués de l’opposition avaient décidé de continuer la lutte et de se séparer du parti. Ils avaient rédigé un appel aux membres et aux ouvriers révolutionnaires à rejoindre l’opposition et avaient convoqué une réunion trois jours après. Ils organisèrent aussi une série de meetings sur le thème « Pourquoi avons-nous constitué un groupe communiste d’opposition ? », et créèrent deux hebdomadaires, un en français, l’autre en flamand.

Les préoccupations du groupe de l’opposition étaient de deux ordres : la propagation de leurs prises de position sur la Russie et l’IC et le recrutement. L’opposition débordait d’activité, des meetings étaient organisés dans toutes les régions du pays et un mois après la conférence d’Anvers, sortait déjà un journal « Le Communiste » dont le premier numéro se vendit à 3000 exemplaires. A Charleroi, 600 exemplaires ne suffirent pas  et le deuxième numéro y fut répandu à 1000 journaux.

La version flamande fut distribuée à 3000 exemplaires pour le premier numéro (dont un certain nombre gratuitement). Les numéros suivants eurent un tirage de 2500, puis après quelques semaines de 1700. Pour la vente, ce fut Anvers qui vint en tête avec 1000 exemplaires par semaine au début, ce qui ne s’était jamais fait du temps du PC.

Mais les oppositionnels étaient confrontés à des questions politiques difficiles. Fallait-il, par exemple, se présenter aux élections, et donc contre le PC ? Fallait-il constituer un nouveau parti ? Quelle attitude adopter face au PC qui les couvrait de calomnies et, fort du soutien de l’IC, pouvait traiter les oppositionnels de diviseurs. Ces questions amenèrent des divisions.

Avant 1933, Trotsky était opposé à la constitution d’un nouveau parti, tant que l’IC n’avait pas fourni publiquement les preuves de sa trahison des objectifs révolutionnaires. Mais les oppositionnels d’Anvers suivirent plutôt l’orientation de l’oppositionnel hollandais Sneevliet qui fonda un parti à côté du PC hollandais dès 1929.

Le groupe  constitué autour de Van Overstraeten voulait fonder un nouveau parti et n’appréciait d’ailleurs pas beaucoup que Trotsky se mêle des affaires belges. Overstraeten laissa tout tomber en 1931, et finit artiste-peintre.

Ce fut la section de Charleroi, sous la direction de Léon Lesoil – qui comptait pas mal de mineurs dans ses rangs- qui resta la plus proche de Trotsky. Lesoil resta communiste, et trotskyste jusqu’à sa mort dans un camp nazi en 1943. Trotsky eut avec lui une correspondance suivie pendant toutes les années 30. La section de Charleroi fit un travail méthodique et sérieux dans les entreprises et dans les syndicats. C’est la seule qui continua à grandir lentement, mais sûrement, de 1928 jusqu’en 1932, année de grèves.

Les grèves de 1932

En 1932, une grande misère et le chômage sévissaient, conséquences notamment de la crise de 1929. C’est ce qu’on voit dans le film Misère au Borinage.

En 1932, malgré une situation déjà catastrophique pour les travailleurs, les patrons décidèrent de baisser encore les salaires, une vague de grève éclata alors en juin. La grève avait démarré à Mons et s’étendit comme une traînée de poudre dans tout le Borinage, puis dans l’ensemble du Hainaut. Les grèves de 32 furent une « explosion sociale ». Les masses passives et pas forcément très conscientes se mettaient subitement en branle autour d’objectifs limités. Mais des gens, et notamment des jeunes, sans aucune expérience, devinrent tout à coup des militants, voire des dirigeants de leurs camarades de travail, leurs consciences faisant de formidables bonds en avant.

Toutes les organisations ouvrières profitèrent de cette montée des luttes : l’opposition qui avait réussi à jouer un rôle dirigeant à Charleroi, seul endroit où elle était vraiment présente, doublait le nombre de ses militants. Les syndicats, les organisations de jeunesses, le PC, et même le POB -qui avait pourtant été une des cibles de la colère des grévistes- virent aussi leurs effectifs augmenter.

De juin à décembre 1932, le PC passa de 1200 à 3100 membres. Et si le reflux des nouveaux inscrits devint perceptible dès 1934, il subsista, avec 2000 membres, un parti dont les effectifs étaient le double de ceux de 1932. Une évolution se marqua aussi dans les élections, en 1929, les communistes avaient 1,9% des voix, en 1932, 2,8%. Et là où la lutte sociale avait été la plus forte, cette progression se marqua de manière plus nette : à Charleroi le PC passa de 3,8 à 9,2 % et à Liège de 4 à 8%.

Changement politique du PC : Fronts populaires.

Mais ce sursaut gréviste en Belgique ne pouvait pas compenser la défaite de la classe ouvrière en Allemagne. Après avoir entraîné les communistes allemands et européens dans une politique sectaire qui mettait sur le même pied les ouvriers socialistes et les nazis, les dirigeants soviétiques imposèrent un brusque changement de cap après la prise du pouvoir par Hitler en 1933 et l’écrasement des organisations ouvrières allemandes.

Craignant, à juste titre, une agression militaire allemande, les dirigeants soviétiques s’efforcèrent de conclure des alliances militaires avec les pays capitalistes concurrents de l’Allemagne: l’Angleterre et la France.

Cette politique n’aurait pas forcément été fausse, si elle avait été développée pour gagner du temps et préparer les travailleurs à affronter tous les pays impérialistes, l’Allemagne comme les autres.

Mais la bureaucratie soviétique ne défendait plus les intérêts du prolétariat mondial et elle instrumentalisa  les PC pour faire passer auprès des travailleurs, cette alliance comme un front des démocraties contre le fascisme. Les dirigeants soviétiques tentaient ainsi d’amadouer les gouvernements impérialistes, surtout français, pour la conclusion d’un pacte contre l’Allemagne, en contrepartie de la paix sociale garantie par les PC.

Ce retournement mena à la constitution des Fronts populaires en France et en Espagne, c’est-à-dire l’alliance avec les partis socialistes et même avec des partis bourgeois, comme les radicaux en France.

En Belgique, le PC changea complètement d’attitude vis-à-vis du POB, présenté hier comme l’ennemi irréductible, il devint l’objet de toutes les attentions dans la recherche d’alliances. Jacquemotte, qui venait d’être appelé à la direction du PC à la place des dirigeants sectaires de la période précédente, alla jusqu’à demander l’intégration des communistes au POB, ce que le POB refusa.

Sur le terrain syndical aussi le revirement du PCB fut total : aux militants qui avaient, dans la période précédente, été poussés à créer des syndicats indépendants, qui avaient été bien souvent condamnés au chômage par leur politique classe contre classe, qui avaient été habitués à traiter les socialistes comme leur pires ennemis, il fut demandé, non seulement, de rejoindre le syndicat socialiste, ce qui n’aurait pas été faux, mais de s’y soumettre aux directives données par l’appareil syndical, ce qui préparait d’autres trahisons.

La volonté de s’accorder les bonnes grâces de la bourgeoisie « démocratique » conduisit le PCB a être même en deçà  des revendications du plan de De Man. Le PC  ne demandait même plus la nationalisation des banques qui figurait dans le plan.

 

Le PC entama aussi, à ce moment-là, sa fédéralisation. Au début de l’année 1937, Jef Van Extergem, un ex-activiste, créait le VKP (Vlaamse Kommunistische Partij) en vue de s’attirer les sympathies du mouvement flamand. Ce parti était en fait une alliance des communistes avec des nationalistes flamands « progressistes » qui ne voyaient pas d’un bon œil l’évolution vers l’extrême droite et l’espoir d’une alliance avec le mouvement nazi du VNV, le Vlaamse Nationalistische Verbond.

Le mot d’ordre, qui était déjà apparu à d’autres moments, était alors la lutte pour une république soviétique flamande et une république soviétique wallonne. Le PC – mais ce n’était pas la première fois – parlait alors de l’existence de deux peuples en Belgique, un non-sens par rapport aux intérêts politiques de la classe ouvrière. Dans les rassemblements du VKP, on agitait des drapeaux flamands et on chantait le Vlaamse Leeuw.

En octobre 1936, survint le décès de Joseph Jacquemotte. Il fut remplacé par un triumvirat composé de Xavier Relecom, qui faisait encore partie en 1929 de l’aile gauche du POB, du flamand Georges van den Boom et du liégeois Julien Lahaut.

Sous l’influence de la nouvelle politique dictée par l’Internationale communiste, les Jeunes Gardes socialistes et les Jeunes communistes fusionnèrent en 1936 dans les Jeunes Gardes Socialistes Unifiées et quand le POB demanda l’interdiction aux membres d’appartenir à un autre parti que le POB, afin de se protéger de l’influence communiste, le PC demanda à ses jeunes de renoncer à leur carte du parti communiste.

Pourtant quelques mois avant ce changement d’orientation de l’IC, un accord d’unité d’action des jeunes POB, PC et trotskystes avait eu lieu en Belgique, en 1934. Accord survenu trop tôt, ce que payèrent chèrement les deux dirigeants PC l’ayant signé. L’un des deux, Marc Willems, fut peu de temps après appelé en Union soviétique pour « suivre un stage » où il disparut dans un camp sibérien jusqu’aux années 50. L’autre, Henri De Boeck, fut peu après envoyé en Espagne où il n’échappa à l’assassinat que parce qu’un camarade le prévint.

Appel à la création de la Quatrième Internationale

L’arrivée de Hitler au pouvoir entraîna donc le revirement de la politique de l’Union soviétique et de l’IC et leur rapprochement vis-à-vis des démocraties bourgeoises. La politique défaitiste de l’IC et, à sa suite, celle du PC allemand devant Hitler, détermina Trotsky à lancer un appel à la création d’une 4ème Internationale.

Jusque là, Trotsky avait pensé qu’il y aurait moyen d’infléchir l’IC, mais le refus de mobiliser le prolétariat allemand face à la montée de Hitler, signifia pour Trotsky et l’opposition de gauche, la mort de l’Internationale communiste.

Jusqu’à cette date d’ailleurs, l’opposition belge, du moins le groupe de Charleroi, demandait régulièrement son intégration au PC (tous les mois).

Après 1933, Trotsky, escomptant un renouveau des luttes et craignant l’impuissance d’un petit groupe face à de tels évènements enjoignit les groupes oppositionnels à faire de l’entrisme, c’est-à-dire rentrer dans les partis socialistes, les partis dans lesquels se trouvaient de nombreux travailleurs et, à cette époque, des jeunes venus au mouvement par les grèves de 1932.

L’opposition belge était donc rentrée dans le POB, et plus précisément dans le groupe « Action socialiste » autour de Paul Henry Spaak qui faisait de l’agitation pour le plan de De Man. Si ce plan n’avait rien de révolutionnaire, la lutte pour le plan pouvait le devenir. Ce plan demandait entre autres la nationalisation des banques. Mais sous quelle forme, sous le contrôle de la bourgeoisie ou celui de la classe ouvrière ? Il s’agissait pour les trotskystes de gagner les jeunes militants en mettant justement le doigt sur ces questions au cours d’une lutte menée en commun. Mais, peu après leur entrée, en 1935, Spaak monta au gouvernement et abandonna et le plan et le groupe Action socialiste.

En 1936, les trotskystes, après l’exclusion de certains parmi eux, sortirent avec un groupe relativement homogène, issu de cette formation du POB et comportant toute une partie de la jeunesse socialiste. L’Action socialiste révolutionnaire, comme ils s’appellaient désormais, représentait un doublement des effectifs – 660 membres à Charleroi – et présentait directement des candidats aux élections. Un succès indéniable.

Mais ces résultats, relativement décevants à côté des résultats du PC et du POB, découragèrent les moins déterminés et semèrent de nouvelles scissions parmi ces trotskystes fraîchement gagnés et donc encore peu expérimentés et peu formés.

Grèves de 36 en Belgique

En 1936, sans doute influencés par les grèves en France, le mardi 2 juin, les dockers d’Anvers partirent en grève contre l’avis des syndicats.

Une semaine plus tard, le 9 juin, 3000 mineurs arrêtèrent le travail à Liège. Le 12 juin, le bassin charbonnier liégeois fut complètement paralysé et les travailleurs occupèrent la F.N. à Herstal. Les mineurs de tout le pays, décidèrent la grève générale pour le 15 juin.

A partir du 13 juin, ce fut le raz-de-marée. A Liège, la grève devint générale dans la métallurgie et s’étendit aux services publics. Le 15 juin, il y avait 250.000 grévistes dans le pays; le 17 juin, plus de 400.000; le 18 juin – point culminant du mouvement – 500.000 grévistes.

La fin du mouvement commença à partir du 22 juin, quand les dockers d’Anvers reprirent le travail, la grève s’arrêta complètement à la fin du mois. La grève de 1936 avait obtenu: le minimum de salaire de 32 francs par jour et des adaptations de salaires, la semaine de 40 heures avec maintien du salaire des 48 heures, la reconnaissance syndicale et les congés payés.

Et les effectifs du PC connaissaient un mouvement de croissance ; alors que fin 1935, il y avait 3200 membre , en 1938 , il y en avait 8.500, et en 1939, à la veille de la guerre, le PC comptait à peu près 10.000 membres dont environ 1700 flamands, 1300 bruxellois, et 7000 wallons.

La guerre arrive

La politique de l’Internationale subit encore un tournant brutal avec la signature du pacte germano-soviétique en 1939, il s’agissait d’un pacte de non-agression entre l’Allemagne et l’URSS. Staline, constatant que ses « alliés »  français et anglais étaient tout prêts à laisser les mains libres à Hitler pour s’attaquer à l’URSS, les devança en quelque sorte en signant un pacte de non-agression avec Hitler, le dégageant ainsi du front Est, ce qui le laissa libre de porter la guerre vers l’Ouest.

Les partis et les militants communistes d’Europe durent se débrouiller comme ils le pouvaient pour justifier cette alliance de fait de l’Union soviétique avec le fascisme contre les « démocraties ».

Un peu livrés à eux mêmes, ils développèrent une politique résumée par le mot d’ordre « ni Londres, ni Berlin ». Les deux camps impérialistes ennemis étaient dénoncés comme tous deux motivés par la domination du monde et des colonies en particulier. Les travailleurs n’avaient pas à avoir d’espoir dans l’un ou l’autre camp, ni à soutenir leur propre bourgeoisie en acceptant de sacrifier leurs intérêts sociaux.

C’est donc à la suite d’une longue succession de zigzags politiques imposés par la bureaucratie soviétique, que les partis et les militants communistes étaient retombés sur une politique de lutte de classe. Cette position était pour cette raison fragile et elle changea à nouveau par la suite.

Les grèves de 41

Lorsque la Belgique fut envahie par les troupes allemandes le 10 mai 1940, le pacte Hitler-Staline était encore en vigueur, il ne fut rompu qu’un an plus tard.

La situation économique générale de la Belgique et de toute l’Europe occupée se dégradait rapidement. Les patrons belges avaient d’abord profité de l’ordre imposé par l’autorité militaire allemande qui avait interdit les syndicats, les grèves et imposé le blocage des salaires.

D’après le Comité central industriel, ancêtre de la FEB, « de vastes perspectives économiques » étaient en train de s’ouvrir. Et Gustave Gérard, patron de la BBL et président du Comité central industriel, profitant de ces nouvelles perspectives, envoya en juillet 1940, une circulaire à tous les industriels leur préconisant « de ramener le salaire minimum au niveau de 1936 » en l’abaissant de 4 à 3,2 FB et recommandant en plus  « la non application des lois sociales ».

Pour donner un exemple de ce que donna cette politique patronale, dans l’industrie textile de Gand, la baisse des salaires atteignit 22%.

De plus, de nombreux foyers devaient vivre sans le soutien du père ou du fils, prisonniers en Allemagne et à qui il fallait envoyer des colis par la Croix Rouge. Dans tout le pays, les rations alimentaires de ceux qui menaient des

activités physiques éprouvantes n’atteignaient pas 1250 calories (environ la moitié de ce que l’on mange aujourd’hui).

Les travailleurs étaient donc confrontés au chômage, aux licenciements arbitraires, à la hausse des prix et au blocage des salaires,…ainsi qu’à la défection des dirigeants syndicaux. Si les uns s’étaient volontairement soumis à « l’ordre nouveau », les autres avaient déclaré toute action syndicale impossible et la CGTB  dissoute.

Mais dans beaucoup d’entreprises, les militants de base prirent l’initiative.  Le PC créa alors les comités de lutte syndicale, en mettant les expériences de la lutte clandestine de ses membres italiens ou espagnols à contribution. Les CLS regroupaient, de manière conspirative, des ouvriers de toutes tendances et catégories « en vue de la défense de leurs intérêts et besoins contre l’occupant, ses valets fascistes et ses complices capitalistes ».

C’est dans cette situation qu’éclatèrent des grèves en 1941.

Le mois d’avril 1941 avait déjà connu des grèves à Liège, dans le Hainaut et à Gand. Puis en mai, alors que l’occupation durait depuis un an, un mouvement, d’accent assez patriote débuta le 1er mai, à Cockerill Seraing. Ce mouvement embrasa rapidement les mines et les usines du bassin liégeois, Huy, le Centre, la Campine jusqu’à compter, d’après l’occupant même, 60.000 grévistes le 19 mai. C’est ce mouvement qui est connu sous le nom de la grève des 100.000.

Les revendications portaient sur le renforcement des rations, sur une augmentation des salaires – bloqués depuis le 10 mai 1940- de 25%. Les grévistes obtinrent une hausse des salaires de l’ordre de 8%, des  allocations de vacances, des rations supplémentaires.

Ce mouvement ne fit pas de victimes alors que faire grève en tant de guerre était passible du conseil de guerre. Cela sans doute parce que l’Allemagne nazie préparait un grand coup à l’Est. On était à un mois de l’invasion de la Russie par l’armée allemande. La répression allait frapper les communistes seulement après cette date. Jusque-là, l’occupant faisait mine de jouer le jeu du pacte. Ainsi Lahaut, par exemple, était toujours conseiller communal à Liège au moment des grèves.

Les communistes participèrent à ces grèves et les encouragèrent partout où ils se trouvaient. La politique de l’IC : « Ni Londres, Ni Berlin » le leur permettait. Mais cette politique justement avait déjà des accents nationalistes prononcés et, si les premiers mots d’ordres avaient été pour des augmentations de salaire, le PC mit l’accent sur la lutte contre l’occupant, et contre les capitalistes collabos, ce qui était un bon prétexte pour ne pas lutter contre le capitalisme lui-même.

Alors que, depuis l’occupation, la politique «  ni Londres, ni Berlin » avait permis au PCB une certaine orientation lutte de classe, dès le 22 juin 1941, date de l’invasion de l’armée allemande en Union soviétique, toute l’énergie du PC est mise dans le Front de l’Indépendance.

Dès fin mai 41, un « Manifeste aux peuples de Flandre et de Wallonie pour l’indépendance du pays » signé PCB, définit la tâche centrale du parti comme étant la lutte pour l’indépendance du pays et la libération du joug nazi. Dans ce manifeste, le PCB définit la lutte contre l’impérialisme allemand comme le premier des devoirs, le slogan « pas un homme, pas un sou, pas un gramme de vivres pour l’occupant » résume bien le programme.

Cela rendait possible la formation de la plus large union possible dans la résistance. Le programme restait muet sur l’après-guerre. Grippa, un militant qui avait rejoint le PC à 17 ans en 1930 et survécut à la torture des bourreaux nazis à Breendonk et à Buchenwald, dit dans ses mémoires, je cite, « la question de ce que serait l’après-guerre devrait être décidée alors, en respectant démocratiquement la volonté populaire. Et il ne fallait pas nous diviser maintenant, entre résistants, sur les souhaits de cet avenir… ».

En fait il s’agissait avant tout pour le PC de répondre aux besoins de l’URSS dans sa recherche d’alliés impérialistes. Il ne fallait donc pas que les PC effraient les bourgeoisies alliées. Organiser un large front de résistance sans parler de l’avenir socialiste était donc tout à fait approprié. Toute l’énergie du parti fut donc orientée dans ce but, vers le Front de l’Indépendance, les Partisans Armés, les actions de sabotage, les attentats et vers la recherche d’alliances avec tous les antifascistes possibles.

L’action violente contre tout ce qui bénéficiait à l’armée allemande était

désormais assumée, revendiquée. Et les comités de lutte syndicale délaissés. Il s’agit d’attaquer la machine de guerre allemande, de miner l’arrière du front soviétique. Les types d’actions conseillés aux militants clandestins étaient de brûler les dépôts allemands, les voitures allemandes, les dépôts de foin, de bois, de faire sauter les ponts, les cabines électriques…

C’était une politique risquée et que paieront cher les militants communistes. Cher parce que c’était leur vie qu’ils mettaient ainsi en péril ainsi que celles des militants emprisonnés qui risquaient d’être fusillés en représailles des actions terroristes. Le PCB eut des difficultés cependant pour convaincre les membres de la pertinence de ces choix et de susciter des volontaires. Mais il y en eut pourtant, Grippa fut de ceux-là, il disait d’une action terroriste risquée menée par lui « comment renoncer alors que les frères d’autres pays y compris en URSS défendaient avec courage leur pays ».

Avant 1943, des actes terroristes, des sabotages, des assassinats de collaborateurs belges avaient été organisés mais jusque-là les soldats allemands n’étaient pas visés. En janvier 1943, six soldats allemands sont assassinés en réaction à une exécution d’otages.

Mais malgré les directives de l’IC, le PCB maintiendra la ligne de ne pas s’en prendre à l’armée allemande. Cela s’explique en partie par le fait que certains militants qui constituaient les groupes actifs dans la capitale, par exemple le bulgare Todor Angheloff, responsable de la Main d’œuvre Immigrée (une subdivision du PC), avaient travaillé avec les communistes allemands dans les Brigades internationales et dans les camps en France. Et de ce fait tuer d’éventuels camarades paraissait à Angheloff impossible. Il s’y opposa et ses groupes de Partisans Armés ne participèrent pas à la chasse à l’uniforme allemand.

Ce n’est pas le courage, ni le dévouement individuel qui manqua aux militants du PC pendant la guerre. Nombre d’entre eux furent déportés, connurent la torture et ne revinrent pas des camps. Ce qui manqua aux militants communistes, ce fut une orientation politique juste.

Après -guerre :

Après la guerre, le Parti communiste participa à deux gouvernements successifs. Aux élections de 1946, le PC obtint près de 13% des voix, ( dont 22% en Wallonie, 17 % à Bruxelles, 4 % en Flandre) ainsi que 23 sièges au parlement (sur 211), aux élections suivantes en 1949 le PC est redescendu à 7,5% des voix et a 12 sièges au parlement. Le PC participa à la reconstruction.

Malgré une hausse très importante des adhérents, de 10.000 membres avant-guerre à 100.000 après, le PC, par sa politique ne sut pas capitaliser cet afflux. Et cela non seulement car une grande partie des nouveaux membres l’avait rejoint durant la résistance sur des bases qui n’avaient rien de communiste, mais aussi car dans sa volonté de s’attirer les bonnes grâces de la bourgeoisie, dans sa recherche d’alliance, le PC, bien qu’ayant créé et développé le Front de l’Indépendance et les Partisans Armés, les avaient complètement inféodés à Londres et finalement aux autres partis.

Le PCB atteignit donc son apogée en termes de membres à la fin de la guerre. Mais à ce moment là, il ne leur offrait déjà plus de perspective communiste depuis plusieurs années.

Quant à l’opposition, malgré une bonne situation de départ, elle n’arriva pas à se développer fortement. Elle connut des divisions au début des années 30, elle s’unit à nouveau  en 1933, et la guerre en vint à bout dans sa chair, par la mort de nombreux militants dans les camps.

Le PC, même s’il avait dû retrouver de nouveaux cadres, et connaître des difficultés après le départ des oppositionnels, bénéficia non seulement de l’appui financier de l’IC mais surtout de son prestige ainsi que de celui de l’URSS. Cela permis au PC de se relever et de croître plus fortement que le groupe d’opposition.

Malgré sa politique dirigée par Moscou et variant en fonction des besoins de la bureaucratie stalinienne, et non en fonction des besoins de la classe ouvrière, le PC resta quand même moins marginal que le groupe de l’opposition belge.

Et quelles que soient ses trahisons, le PC en défendant ne serait-ce que le mot de communisme, permettait à chaque nouvelle génération, à de jeunes travailleurs de rejoindre un parti qui envisageait le renversement de la bourgeoisie par le prolétariat.

La quasi-disparition du PC aujourd’hui et la difficulté pour un petit groupe révolutionnaire de rendre crédible cette perspective, montre à quel point l’existence de ce PC était utile, même aux communistes révolutionnaires.

La politique du PC, en n’offrant pas à la classe ouvrière de perspectives politiques justes, lui fit perdre après-guerre, tout le crédit qu’il avait gagné. Le plus grave c’est que la politique nationaliste des PC pendant la guerre n’a donné aucune perspective, ni aux travailleurs qui les avaient rejoints, ni à l’ensemble de la classe ouvrière.

Pourtant, les grèves sous l’occupation le démontrent et l’activité des petits groupes d’opposition à Charleroi et Anvers aussi, il était possible de mener une autre politique.

Le manque de direction révolutionnaire est le drame du 20ème siècle. Le stalinisme a marqué le mouvement ouvrier d’une empreinte indélébile, mais malgré les obstacles, il y a toujours eu des militants pour reprendre l’analyse de Trotsky et choisir, malgré la difficulté, de défendre les perspectives révolutionnaires. C’est grâce à eux que nous sommes là aujourd’hui.