Guerre communautaire ou lutte de classe ?

Des dizaines de milliers de travailleurs sont en train de basculer dans le chômage et les classes populaires s’enfoncent tous les jours un peu plus dans la crise et certains dans la misère. Cela n’arrache qu’une indignation peu convaincue et peu convaincante à nos politiciens. Ils se contentent de nous expliquer dans toutes les langues la fatalité de la crise et qu’on devrait être content que ce ne soit pas pire.

Mais quand dans une petite gare en Flandre est accroché une carte de la Flandre qui ne mentionne pas la Région bruxelloise, le président PS de la Région bruxelloise, Charles Piqué, s’énerve à la télé. Quand trois bourgmestres francophones dans des communes flamandes à la périphérie de Bruxelles ne sont pas nommés parce qu’ils n’ont pas respecté les règles linguistiques, Maingain, du Front démocratique francophone, est capable de hurler que ce seraient des pratiques de nazis. Et si tous les politiciens francophones n’ont pas ce même langage imbécile, tous se mettent en position de grand combat, jurent de défendre « les Francophones » contre « les Flamands » et n’hésitent pas à invoquer les grands principes démocratiques.

Quel spectacle d’hypocrites !

Ce sont les politiciens francophones qui sont responsables de la division linguistique du pays. Ce sont eux ou leurs collègues de la génération d’avant qui n’ont pas voulu que le pays devienne simplement bilingue quand la population flamande réclamait le même statut pour leur langue que pour le Français. Ce sont les politiciens et des cadres et fonctionnaires francophones qui ont préféré tirer une « frontière linguistique » à travers le pays, en se préservant ainsi des postes de fonctionnaires qu’ils pensaient inaccessibles aux Flamands.

Mais chaque frontière tracée en entraîne d’autres. C’est ainsi que fut créé la Région Bruxelles-capitale en 1988. La frontière autour de Bruxelles dont Piqué veut voir les traces sur absolument toutes les cartes, ce sont encore les politiciens francophones qui l’ont négociée pour ne pas faire partie du territoire flamand. Et c’est ainsi que Bruxelles, qui comme n’importe quelle grande ville ne cesse de grandir, déborde une frontière.

Le problème linguistique pourrait être réglé depuis longtemps, par un enseignement bilingue pour tous, comme cela fonctionne au Luxembourg ou en Suisse. Le casse-tête d’aujourd’hui autour de Bruxelles-Halle-Vilvorde n’a absolument rien à voir avec les langues parlées dans cette région, mais bien avec le fait que la classe politique a fait du communautarisme son fonds de commerce. Les partis flamands rivalisent à défendre « les Flamands » contre « les Francophones » et du côté francophone… c’est exactement l’inverse.

Mais de quels « Flamands », de quels « Wallons », parlent-ils ? Des deux côtés de la frontière linguistique, les travailleurs se font licencier par des entreprises dont les capitaux et les patrons, qu’ils soient flamands, wallons, français, hollandais ou américains, ont le même mépris pour les travailleurs. Des deux côtés de la frontière linguistique, les jeunes peinent à trouver d’autres emplois que des contrats précaires. Des deux côtés de la frontière linguistique, les pensions des travailleurs sont menacées. Des deux côtés de la frontière linguistique, il manque des centaines de milliers de logements sociaux et d’enseignants. Alors quand on est au chômage ou qu’on n’a qu’une petite pension, on a beau parler flamand, ce n’est pas pour autant qu’on trouve un logement abordable dans une commune flamande.

Mais pour les capitalistes des banques et des grandes entreprises, les politiciens de toutes les langues et à tous les niveaux du pouvoir trouvent des milliards d’euros. En fait, tous sont d’accord dans toutes les langues. Le rôle des politiciens dans tous les pays se limite à faire payer les travailleurs. Et plus ils hurlent au « eigen volk eerst », plus ils sont dévoués à cette tâche.

Pour les travailleurs qui reçoivent actuellement des lettres de licenciements rédigées en flamand ou en français, mais aussi en anglais, allemand, grec, russe, chinois ou arabe, le nationalisme ne peut être qu’une impasse. En quoi le vicomte flamand de Spoelberch qui empoche les dividendes d’Inbev est-il un ami ? Qu’avons-nous en commun avec le Wallon Albert Frère dont la fortune s’est construite sur les restructurations de la sidérurgie wallonne et l’énorme chômage qu’elles ont entrainé, et qui licencie chez Carrefour… Ces patrons font la guerre aux travailleurs, la guerre de classe. Et ce n’est que leur profit qui les guide, pas la langue qu’ils partagent avec les travailleurs qu’ils exploitent.

Oui, derrière le communautaire, derrière tous les nationalismes, se cache la lutte de classe. Mais pour les travailleurs, quand il s’agit de défendre leurs emplois et leurs salaires, leurs seuls amis, leurs seuls alliés possibles, ce sont les autres travailleurs, et peu importe leur origine, la langue qu’ils parlent ou leur religion.

En refusant de nous laisser diviser c’est notre classe qui sera la plus forte. Capable même d’emporter les frontières qui à l’époque des avions et d’Internet, sont artificielles les unes comme les autres.